Vous reprendrez bien une tranche d’éolien ?

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Je pensais que mes deux récentes chroniques (« Bêtes de Seex (Syndrome éolien exacerbé » et « EXCLUSIF ! Les éoliennes perturbent l’activité cérébrale ») consacrées aux polémiques soulevées par le développement de l’éolien en terre wallonne avaient épuisé mes réflexions et humeurs sur la question et que je n’y reviendrais plus avant longtemps. Erreur… Les éléments versés au dossier ces dernières semaines m’obligent en effet à ajouter quelques couches à la lasagne. Non pas que je me sente investi d’une quelconque mission de défense de cette énergie – ma religion économique comme mon niveau de revenus m’empêchent tout investissement boursier, aucun promoteur n’a pensé à récompenser ce soutien spontané et, contrairement à ce qu’affirment certains commentaires, je ne compte pas de « copains dans les cabinets » avec lesquels « je fume le Havane et joue au golf » – mais les réactions irrationnelles et outrageusement nymbistes qu’elle génère ont le don de me mettre en ébullition. Et quand j’ébullitionne, il faut que ça sorte !

Il y eut d’abord cet article – pour faire sérieux et sulfureux, il est baptisé « enquête » – publié dans « Le Vif » (n°19 – 10 mai 2013).
Le peuple abasourdi y découvre « Comment le lobby vert impose les éoliennes ». Et franchement, ça fait peur. A lire l’intro de ce papier, on n’ose imaginer quels manœuvres, coups bas et trahisons se fomentent à l’ombre de notre ignorance, quelles forces occultes s’activent dans les coulisses des pouvoirs. Jugez plutôt : « Mille éoliennes sur le sol wallon d’ici 2020 : le défi du renouvelable n’a jamais autant ressemblé à une marche forcée. Derrière l’armée des moulins à vent, un puissant lobby politique et économique. Enquête au cœur d’une inquiétante guerre des tranchées. C’est une artillerie masquée, silencieuse et savamment orchestrée. « Une machine de guerre », avancent même bon nombre d’observateurs avisés. A l’heure où les énergies renouvelables s’imposent comme une évidence dans le cadre des objectifs européens de réduction de CO2, le lobbying pro-éolien a imprégné toutes les sphères décisionnelles du pays. »

Je dois avouer que cela m’a foutu un coup aux illusions. Entendons-nous bien : je ne me leurrais pas quant au caractère désintéressé des industriels de l’éolien ; le jour où une activité économique de nature capitaliste poursuivra d’autres objectifs que la conquête des marchés et la maximalisation de ses profits, on distribuera des préservatifs dans les églises et le golf du Bercuit deviendra un centre de vacances pour le CPAS de Charleroi. Je ne me leurrais pas mais de là à découvrir que ce secteur est « une machine de guerre », une « artillerie masquée, silencieuse et savamment orchestrée », un lobby qui, à l’instar de ceux du tabac, de l’armement, de l’automobile ou de l’agrochimie, « a imprégné – ouf, on n’en est pas encore au noyautage… – toutes les sphères décisionnelles du pays », il y avait un pas dont le franchissement me fait tomber de haut (ce qui tend à indiquer que je n’étais pas loin du gouffre…).

Comme tout bon lecteur par la sensation alléché, je me plongeai donc dans la lecture de « l’enquête », avide d’informations édifiantes illustrant l’ampleur du complot. Et j’en ressortis plus perplexe que jamais quant au fondement de cette fronde contre Eole en vertu de laquelle un magazine et un journaliste considérés comme « sérieux » tentent de nous faire prendre une vessie très ordinaire pour une lanterne éclairant l’enfer.

J’invite chacun et chacune à forger son propre jugement en lisant l’article en question. En ce qui me concerne, j’y ai vainement cherché la moindre révélation digne de ce nom, une accusation fondée sur autre chose que de la suspicion, des faits outrepassant les pratiques connues et admises, des comportements condamnables, ne serait-ce que moralement ; ce témoignage exclusivement à charge échoue in fine à prouver quoi que ce soit. Oh, bien sûr, on n’est pas dans « Oui-oui au pays des Bisounours » mais rien dans les pratiques mises en exergue ne franchit les limites de la légalité ni ne va au-delà des règles du jeu de l’univers impitoyable de l’économie.

Sans me lancer dans l’exégèse du texte, il m’apparaît important d’en pointer l’un ou l’autre élément tristement révélateur de sa faiblesse.

Le « débauchage » de l’ancienne Secrétaire générale d’Edora (Fédération des producteurs d’énergies renouvelables) par le cabinet du Ministre wallon de l’Energie y est pointé d’un doigt accusateur comme preuve des liaisons adultérines entre le politique et l’industrie. Mais pourquoi ne pas plutôt y voir un recrutement allant chercher les compétences là où elles se trouvent ? Dès lors que le développement des énergies renouvelables figure dans la déclaration de politique régionale, n’est-il pas logique de recruter les meilleurs profils pour la mettre en œuvre ? Et au nom de quoi refuser à la personne concernée le crédit de l’intégrité ? Par ailleurs et jusqu’à preuve du contraire, c’est le ministre qui fixe les orientations du travail de son cabinet et non l’inverse.
N’est-il pas bien plus choquant et inquiétant de trouver à la tête de l’Agence fédérale de contrôle nucléaire en charge, notamment, de se prononcer souverainement sur la sécurité de nos installations, un homme qui fut directeur de la centrale de Doel puis de la World Association of Nuclear Operators (WANO) et n’a jamais caché sa foi inébranlable en l’atome ?

Plus loin, l’article livre le fruit d’une investigation que l’on peine à imaginer serrée : « Dans un document interne au groupe Ecolo, dont nous avons pris connaissance, le parti propose ainsi toute une série de réponses préconçues, que les élus peuvent débiter à chaque critique rencontrée. A travers les sept pages du texte, l’un des points fournit une réponse à une critique émise par le collectif Vent de Raison, relative à l’impact néfaste des éoliennes sur le paysage. « La beauté est quelque chose de très subjectif », mentionne le document. « Beaucoup de personnes trouvent les éoliennes très belles et enrichissant le paysage. » (…) Le texte procure même à ses destinataires les liens de quelques reportages élogieux à partager sur les réseaux sociaux : « Pour diffuser sur vos Facebook, la vidéo d’un journaliste qui a dormi au pied des éoliennes d’Estinnes… » La démarche, digne d’une véritable agence de communication, laisse peu de place aux réponses spontanées. »
Ah, les masques tombent ! La collusion est établie, le complot éventé ! Une fois de plus, le 4ème pouvoir permet de mettre à jour ce qui s’ourdit dans l’ombre… ! Trêve de plaisanterie : il y a quelque chose de malsain dans cette manière de présenter comme un scoop journalistique une pratique largement répandue et totalement transparente. Personne n’ignore, en effet, que chaque parti – et plus largement chaque groupe de pression, chaque association, etc. – met à la disposition de ses membres un argumentaire (ou memento, fiche, note, pense-bête, etc.) reprenant des éléments essentiels de communication autour de son programme, ses positions, ses revendications. Quant au fond, arguer que « la beauté est quelque chose de très subjectif », cela me semble relever plus du bon sens de La Palisse que du cynisme de Machiavel…

J’hésitais sur l’opportunité de gâcher une chronique pour réagir à ce papier lorsque l’actualité m’amena un nouveau motif d’exaspération.

Le jeudi 24 mai, le Conseil Supérieur de la Santé rendait publique son étude sur l’impact sanitaire des éoliennes dont la présentation énonçait « (…) les projets éoliens sur terre sont souvent source de plaintes de la part des riverains. Les plaintes relatives à leur influence sur la santé et plus généralement sur la qualité de vie ne sont d’ailleurs pas infondées. »

Là, ce fut un vrai choc. Je m’étais trompé et avais insulté la souffrance de milliers de riverains en niant l’impact de ces infrastructures sur leur santé… Shame on me ! Un mea-culpa s’imposait et l’étude allait nourrir mon acte de contrition. Croyais-je. Car la lecture du document me laissa une nouvelle fois pantois. En fait « d’influences sur la santé pas infondées », le seul élément concret qui en ressort est que, je résume, l’implantation d’éoliennes peut générer un stress chez les personnes qui y sont opposées. Et comme le stress n’est pas bon pour la santé, ces implantations ont un impact sanitaire négatif ! CQFD (mais il faut oser).
Si vous doutez de ma bonne foi, voilà ce que cela donne en intégralité dans le texte : « En ce qui concerne les éoliennes modernes, il est peu probable qu’elles aient d’autres effets directs sur la santé et le bien-être que la nuisance et éventuellement des troubles du sommeil. Néanmoins, tant la nuisance que les troubles du sommeil peuvent générer un stress excessif susceptible d’avoir des conséquences néfastes sur la santé et le bien-être des personnes concernées. (…) Le fonctionnement des éoliennes ou des parcs éoliens est donc susceptible d’avoir des répercussions sur la qualité de vie, c’est-à-dire sur la santé et le bien-être mais d’une façon complexe déterminée par des facteurs variés et étroitement liés. Il n’existe pas de liens simples et universellement valides avec un seul facteur environnemental spécifique, tels que par exemple l’exposition au bruit des éoliennes ou l’aspect modifié du paysage. (…) Le niveau de nuisance – tant sur le plan individuel qu’au niveau de la population – ne peut être apprécié qu’en tenant compte d’autres facteurs, tels que la manière dont les éoliennes ou les parcs éoliens affectent le paysage et s’imposent au niveau du lien affectif qu’entretiennent les habitants envers leur environnement local. (…) si ce projet est perçu comme étant à la base d’une (future) détérioration de la qualité de vie, cela peut générer ou aggraver des troubles de santé chez certaines personnes, par exemple des états dépressifs, des maux de tête ou de l’hypertension. »

Personnellement, je trouve cette prose rien moins que sublime ! Sous caution scientifique – ne perdons pas de vue qui l’a produite –, elle acte en effet que quelque chose qui vous déplaît ou que vous vivez mal est susceptible de générer un stress qui pourrait dégénérer en état dépressif, maux de tête, hypertension, etc. Vous imaginez, au-delà du refus des éoliennes, ce que cela ouvre comme perspective ?
Le caractère d’un collègue vous déplaît ? Stress, état dépressif… : avec un peu d’application, il devrait être possible de le faire condamner pour mise en danger de la vie d’autrui.
Trop d’allochtones dans le quartier à votre goût ? Stress, hypertension… : votre combat pour l’expulsion devient légitime.
Votre voisin élève des paons dont les cris vous horripilent ? Stress, insomnie… : à l’échafaud, les phasianidés !
En ce qui me concerne, j’ai renoncé à la voiture mais dois néanmoins subir les 65 à 70 décibels et vibrations des véhicules qui passent sous ma fenêtre à longueur de journée ainsi qu’une réduction de mon espérance de vie de près de trois ans à cause des crasses diverses qu’ils injectent dans l’air que je respire. Colère, énervement, stress, insomnies, palpitations, hypertension, dépression avant, peut-être, infection, cancer du poumon… : à défaut de pouvoir interdire le trafic automobile dans mon cadre de vie, je devrais avoir droit à une sacrée indemnité, non ? D’autant plus qu’avec ces vibrations incessantes mon patrimoine immobilier se fissure, au propre comme au figuré.
La connerie humaine m’exaspère ? Stress, nervosité, asocialité… : bon, là, je devrai faire avec mais c’est sans doute l’exception qui confirme la règle…
Non, il n’y pas à dire, c’est une sacré victoire pour le bien-être individuel.

Blague à part, cet avis a le mérite de pointer les impacts négatifs que toute chose non consentie peut avoir sur chacun(e) d’entre nous. Mais si ce type de réflexion a une raison d’être dans un essai psychosociologique, je doute qu’il soit opportun dans un contexte où il vient légitimer (a minima mais c’est déjà beaucoup) des oppositions essentiellement fantasmagoriques. Je suis un adepte convaincu du principe de précaution et un défenseur acharné du « cadre de vie » mais pas quand ces nobles concepts sont dégainés pour défendre des intérêts purement individuels.

Cet intérêt individuel étant, quoi qu’en disent nos velléités humanistes, le principal moteur de nos choix jusque dans les urnes, on pouvait légitimement s’attendre à ce qu’un parti cherche à cueillir les fruits électoraux de cette opposition à l’éolien. Et cela n’a pas manqué. Ils furent quelques-uns à tâter le terrain et se positionner par leurs déclarations ô combien compréhensives avant que l’OPR (offre publique de récupération) ne soit lancée par le… FDF. Non pas qu’une invasion de mâts géants menace la Région de Bruxelles-Capitale mais les Amarantes ont identifié un terrain pouvant favoriser leur implantation en Wallonie et se sont empressés de l’investir. Ils ont donc réclamé l’instauration d’un moratoire sur le développement de l’éolien dans l’attente de la réalisation par la Cwape (Commission wallonne pour l’énergie) d’une étude sur les performances énergétiques du parc éolien wallon en termes de réductions d’émission de CO2.

Et là, au risque de surprendre, je dis « Bravo ! » ou plutôt « Chiche! ». Car de deux choses l’une : ou les éoliennes ne servent vraiment à rien en matière de production énergétique et de réduction de gaz à effet de serre et on ne se pose même plus la question de leur implantation, on arrête tout. Ou elles ont effectivement leur place dans un mix d’énergies renouvelables et on les développe sans états d’âme superflus sur base d’expertises déterminant les meilleures localisations, avec un cadre législatif régulant leurs profits comme cela devrait être le cas pour toute activité industrielle stratégique. Le débat sera ainsi objectivé et clos une bonne fois pour toute. Les Don Quichotte de l’éolien pourront alors triompher légitimement… ou remiser définitivement leurs fantasmes et apprendre à vivre avec leur frustration, laquelle, cela tombe bien, est réputée maturante.

Allez, à la prochaine. Et d’ici là, restez vigilants car, comme le dit le proverbe : «Quand on se noie, on s’accroche à tout, même au serpent.»

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