Une fiscalité verte? Non : socio-environnementale !

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Si la fiscalité verte est sur toutes les lèvres, elle semble essentiellement considérée comme un apport providentiel pour un budget en souffrance. La Fédération se réjouit de voir cet enjeu sortir (enfin! ) du cercle étroit des environnementalistes pour s’inviter dans les sphères décisionnelles mais elle rappelle que cette fiscalité, à l’instar des autres instruments de politique environnementale, doit être maniée avec précaution. Il importe ainsi notamment qu’elle serve avant tout des objectifs environnementaux dignes de ce nom. En apparaissant comme une Xème taxe destinée à combler un déficit, elle risque de perdre toute adhésion de l’opinion publique, adhésion pourtant primordiale à la mise en place et au succès de tels instruments.

La fiscalité environnementale est assurément un sujet très chaud en cette rentrée 2009. Nos voisins français viennent non sans mal de franchir le pas de l’établissement d’une taxe carbone; nos politiciens s’agitent soudain en la matière, motivés par des trous budgétaires à combler; le Conseil Supérieur des Finances examine quant à lui comment l’instrument fiscal devrait être intégré dans une politique environnementale permettant à la Belgique de remplir ses engagements[Conseil Supérieur des Finances (2009), [La politique fiscale et l’environnement, rapport de la «Section Fiscalité et Parafiscalité».]]; et l’Europe,[[«Des États membres ont déjà annoncé l’introduction d’une taxe carbone et d’autres l’envisagent, mais nous avons besoin d’un cadre pour toute l’Europe» a récemment annoncé le commissaire européen à la fiscalité, Laszlo Kovacs, suite à la réunion à Göteborg des Ministres des Finances européens qui évoquaient pour la première fois l’idée d’instaurer une taxe carbone au niveau européen.]], enfin, se penche sur l’instauration d’une taxe carbone à un niveau supranational.

Défendant de longue date l’utilisation de l’instrument fiscal dans le cadre de politiques environnementales, la Fédération Inter-Environnement Wallonie ne peut que se réjouir du fait que ces questions soient (enfin) au centre des débats. En effet, vu la hausse inévitable du prix des matières premières dans un avenir relativement proche, les décideurs politiques se doivent dès à présent de préparer la société à un tel contexte. Pour ce faire, de nombreux ingrédients doivent être soigneusement sélectionnés et utilisés à bon escient pour que le plat concocté soit, si ce n’est savoureux, à tout le moins digeste. Il faut également éviter de « détourner » une épice pour réhausser un plat particulièrement insipide à l’instar de nos ministres fédéraux qui ont recours à la fiscalité environnementale pour combler un important déficit budgétaire.

Cet outil doit au contraire impérativement répondre à des objectifs environnementaux clairs au risque de manquer l’adhésion citoyenne indispensable à son instauration comme le rappelle l’OCDE[[OCDE (2001), Les taxes liées à l’environnement dans les pays de l’OCDE.]] : «L’efficacité des réformes fiscales « vertes » repose sur l’adhésion de l’opinion publique (…) Dans certains cas, on peut même faire mieux accepter à l’opinion publique une hausse des taxes liées à l’environnement en annonçant simultanément des dépenses dans le même domaine, ou en l’inscrivant dans un plan d’action global.»

La Fédération soutient donc fermement le principe d’une réforme environnementale de la fiscalité. Elle plaide pour une mise en ½uvre rapide mais qui doit faire preuve d’une élémentaire prudence. Les balises suivantes nous paraissent à cet égard incontournables :

  • la fiscalité «verte» repose sur des prérequis économiques nombreux parmi lesquels la possibilité d’allouer un coût aux ressources naturelles, à leur usage et à leur destruction. La «monétarisation» des dommages et ressources environnementales n’est cependant pas sans limites, tant sur le plan méthodologique qu’éthique[PAREDIS, E. (2001), [Prix corrects et développement durable : une histoire nécessaire, mais laborieuse, Texte préparatoire au symposium du CFDD Rio+10 en Belgique : fossé entre engagements et politique, jeudi 14 juin 2001.]], et ne peut être objectivée que jusqu’à un certain degré[[Sur base, notamment, d’une décision d’évaluation des coûts occasionnés à la collectivité, du coût de remise en état.]];
  • l’analyse économique se base largement sur des évaluations monétaires renvoyant à un marché mettant en relation acheteurs et vendeurs, et excluant la délibération sociale qui semble pourtant nécessaire à la détermination du prix de l’utilisation de biens qui font partie du «bien commun naturel»;
  • l’allocation de valeur monétaire au domaine naturel soulève une autre question cruciale : jusqu’où est-il possible et souhaitable d’aller dans cette direction ? Faut-il en effet que tous les biens se voient doter d’un prix, sachant que certains, à l’instar des ressources naturelles, sont par essence «hors de prix» ? Comme tout autre outil, la fiscalité devra donc être maniée avec précaution ;
  • la fiscalité environnementale peut également induire l’individualisation des responsabilités. Les mesures de type «pollueur-payeur» peuvent être socialement néfastes car discriminantes si on ne les accompagne pas de mesures protégeant les populations aux revenus les plus faibles ;
  • les implications sociales des mesures fiscales doivent nécessairement être prises en compte, notamment par le développement d’alternatives (par exemple les transports en commun comme alternative à la voiture individuelle) ;
  • la fiscalité est un instrument de politique environnementale parmi d’autres (réglementation, sensibilisation, information, etc.). Les différents instruments se renforcent sur base d’objectifs sociétaux déterminés, notamment en termes de solidarité et de cohésion sociale.

Outre ces balises, la Fédération appelle la Belgique et les Régions à s’engager résolument dans la voie d’une réforme environnementale de la fiscalité. Concrètement, celle-ci impliquerait de :

  • équilibrer la charge fiscale sur les facteurs de production en diminuant relativement la charge sur le travail tout en l’augmentant sur l’utilisation des ressources naturelles et les revenus du capital, ceci dans un souci de justice sociale;
  • assortir la réforme de mesures d’accompagnement et de compensation de façon à maintenir auprès de l’ensemble des acteurs économiques un «signal-prix» clair pour les inciter à modifier leurs comportements, tout en les aidant à s’adapter, en particulier, à une énergie plus rare et plus chère;
  • inclure la réforme dans l’ensemble des politiques menées par nos gouvernements pour préparer notre société aux défis du futur;
  • évaluer, revoir et adapter les outils «incitatifs» (tels que les primes et autres déductions fiscales octroyées pour investissement économiseur d’énergie qui avaient le vent en poupe sous la précédente législature régionale) en regard des objectifs environnementaux poursuivis;
  • identifier et réorienter, voire supprimer, les subventions préjudiciables à l’environnement (pensons au régime fiscal favorable dont bénéficient les voitures de société, non-sens environnemental déploré en son temps par l’OCDE[[OCDE (2007), Examens environnementaux de l’OCDE – Belgique.]] et plus récemment par le Conseil Supérieur des Finances[[«(…) la Section a estimé nécessaire d’examiner également dans quelle mesure le système fiscal actuel n’envoie pas de signaux contraires à l’environnement (…) Le signal le plus négatif vient du régime fiscal des voitures de société et des cartes-carburant. Le régime fiscal attractif dont la voiture de société bénéficie par rapport aux salaires a une conséquence du point de vue environnemental : si l’utilisateur a aussi une carte-carburant, le coût marginal du kilomètre supplémentaire est nul. Les enquêtes récentes confirment que cette incitation se traduit dans une utilisation plus importante du véhicule.» Le Conseil Supérieur des Finances (2009) considère ainsi «qu’il faut aller progressivement vers la suppression du régime fiscal particulier des voitures de société et aligner l’avantage de toute nature sur celle des salaires, tant dans le chef de l’employeur que dans le chef du salarié. Le même principe s’applique aux cartes-carburant.»]] , ou encore le régime attrayant octroyé au transport aérien via l’exonération des accises sur le kérosène et la TVA sur les billets internationaux ainsi que les subventions allouées aux compagnies low-cost et aux aéroports).

Téléchargez ici la position d’Inter-Environnement Wallonie en matière de fiscalité environnementale.