Renversons l’autotalitarisme !

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« Je ne comprendrais pas que ce gouvernement adopte une politique du « tout à l’auto ». Il faut des investissements massifs pour les transports en commun : le matériel roulant, les dépôts, les ateliers… (…) Je veux investir au profit de ceux qui ont le courage de renoncer à la voiture. »

André Antoine, Ministre wallon de la mobilité, 2004

« On ne doit pas nécessairement se priver de voiture mais on doit combiner les moyens de mobilité. Il faut du co-voiturage etc. »

Philippe Henry, Ministre wallon de la mobilité, 2012

L’objectif affiché de faire reculer la pression automobile sera-t-il atteint ? Disons-le d’emblée : aucun élément solide ne permet aujourd’hui de répondre par l’affirmative. Les chiffres officiellement publiés sont rares en Wallonie et ceux dont on dispose ne permettent pas de conclusion optimiste. Dans les prochaines semaines, les résultats de l’enquête nationale de mobilité BELDAM devraient être publiés, ce qui apportera peut-être des éléments neufs.

En attendant, nous pouvons nous tourner vers la France, où les enquête de mobilité sont à la fois nombreuses et rendues publiques. Et les chiffres publiés par le CERTU[[Le centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques.]] sont extrêmement intéressants : on y voit une inflexion marquante dans les pratiques de mobilité depuis le milieu des années 2000 : la part de marché de la voiture recule dans de nombreuses agglomérations, au profit des autres modes de déplacement.

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Figure 1 : Evolution des parts modales pour les différents modes de transport dans une série d’agglomérations. Pour chaque agglomération, les résultats des deux dernières enquêtes sont indiqués côté à côte. Les pourcentages font référence au nombre de déplacements. [chiffres : CERTU]

Comme le soulignait récemment Bernard Quetelard, expert de la mobilité en France : « Alors que, depuis le milieu du vingtième siècle, l’usage de la voiture dans les agglomérations françaises ne faisait que croître à un rythme soutenu et régulier et qu’aucun ralentissement de cette croissance n’était perceptible, l’année 2005 marque un tournant. En effet, à partir de cette année et pour la première fois depuis que les Enquêtes Ménages Déplacements existent, les résultats de la quasi-totalité des EMD montrent une baisse de l’usage de la voiture. Ce retournement de tendance est bien lié, pour l’essentiel, à des changements de comportement et non à des évolutions de la structure de la population (vieillissement,…). »

Notre expert indique également qu’au niveau national, on observe une stabilisation, voire une baisse du trafic automobile depuis la même époque. C’est une cassure sans précédent dans la tendance historique à la croissance du trafic depuis l’invention de l’automobile.

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Figure 2 : Le trafic automobile a atteint un maximum au début des années 2000 en France (404 milliards de véhicules-km en 2003), avant de diminuer légèrement. En Belgique, la tendance historique de croissance du trafic automobile n’a pas encore montré de réels signes de ralentissement (77 milliards de véhicules-km en 2009). Sources : [Insee et al. (FR), SPF mobilité et transport (BE)]

Comment expliquer cette évolution marquante et inattendue en France ? Divers facteurs semblent avoir joué, comme l’augmentation du prix des carburants et – probablement dans une moindre mesure – une préoccupation environnementale croissante. Cependant Bernard Quetelard souligne l’importance de la Loi sur l’air, votée en 1996, et qui impose à toutes les agglomérations de plus de 100.000 habitants la mise en place d’un plan de déplacement urbain (PDU) dont l’objectif premier est « la diminution du trafic automobile ». Des mesures politiques significatives ont été prises, comme le développement des réseaux de transport public structurants dans de nombreuses agglomérations.

La Belgique, quant à elle, est régulièrement mise en demeure par l’Europe pour la très mauvaise qualité de son air, situation en grande partie due à l’importance du trafic automobile. Particules fines, composés organiques volatils, oxydes d’azote et consorts ont des conséquences désastreuses sur la santé humaine et sur l’environnement. Plus largement, la pression automobile amène d’autres nuisances dans nos agglomérations : bruit, congestion, occupation de l’espace public, insécurité pour les usagers faibles de la route et particulièrement pour les enfants, dégradation du cadre de vie…

Par l’usage excessif que notre société en fait, une invention aussi fabuleuse et fascinante que l’automobile est aujourd’hui devenue, à bien des égards, un fléau.

Il est vital que nos autorités prennent à bras le corps le problème. Cessons de dilapider l’argent public dans des politiques d’accroissement du réseau routier (élargissement de la E42 : 60 millions d’euros, contournement de Couvin : 200 millions d’euros…) alors que celui-ci est déjà démesuré et que nous n’arrivons même pas à l’entretenir. Osons adopter une fiscalité qui décourage l’usage de gros véhicules polluants[Voir notamment notre communiqué « Fiscalité automobile : la Flandre donne le ton » [www.iewonline.be/spip.php?article5026 et notre dossier « voitures de sociétés : oser la réforme » http://www.iewonline.be/spip.php?article5065]]. Mettons en place une véritable politique de déploiement des transports en commun, à l’image de la France, où une quinzaine de villes ont connu la construction de réseaux structurant de transport en commun dans les deux dernières décennies[A l’opposé de la tendance politique actuelle : faire des économies dans les transports en commun est un mauvais choix [http://www.iewonline.be/spip.php?article4554]]. Considérons sérieusement le potentiel énorme[Voir l’évolution édifiante enregistrée par l’Observatoire bruxellois du vélo [http://www.provelo.org/spip.php?article454]] des modes doux (marche, vélo, vélos électriques…) et accordons-leur une place sûre dans la circulation. Développons les usages alternatifs et partagés de la voiture qui permettent de réduire fortement le nombre de voitures en circulation et en stationnement [Voir l’article « La voiture oui, mais autrement ! » [http://www.iewonline.be/spip.php?article4647]].

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Figure 3 : Les décideurs sous-estiment fortement l’adhésion des populations à des politiques de modération de la circulation automobile et favorisant l’usage des transports publics, du vélo, de la marche en ville[Résultat d’un large sondage européen (1991), qui a été conforté par d’autres études depuis lors. Voir l’analyse très intéressante de ce phénomène réalisée par Frédéric Heran (CNRS) « Déplacements urbains : Pourquoi les maires se trompent sur l’opinion de leurs administrés » [http://ecoloos.free.fr/static/fh_opinionselus.pdf]] .

Le « tout à la voiture » imprègne encore profondément une partie de notre société : Sous prétexte que l’on ne peut se passer de la voiture pour tout, certains croient qu’on ne peut l’abandonner pour rien ! Pourtant, les citoyens sont souvent conscients de l’impasse de ce modèle et prêts à accueillir les changements nécessaires. Sortons de la pensée unique pour voir le bouquet complet des solutions de mobilité. Il est temps de renverser l’autotalitarisme !

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