Pétrole et gaz non conventionnels : la politique de l’autruche

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A l’heure où les changements climatiques et la diminution des réserves de pétroles conventionnels devraient nous pousser à tourner définitivement le dos aux énergies fossiles, les compagnies continuent à chercher dans des conditions de plus en plus difficiles le pétrole et le gaz. Elles fouillent frénétiquement les entrailles de la terre, avec des techniques plus risquées, plus destructrices et plus sales pour extraire l’or noir ou le gaz, dont on veut nous faire que notre société, complètement accro, ne saurait se passer. Tour d’horizon de ces hydrocarbures, appelés non conventionnels.

Le pétrole et le gaz dits non conventionnels nécessitent pour leur exploitation d’autres techniques de forage et d’extraction que la méthode traditionnelle de puits pétroliers ou gaziers. On inclut également dans cette dénomination les gisements situés dans des zones difficilement accessibles comme l’offshore très profond ou l’extraction en région polaire.

Il existe différents types de pétroles et de gaz non conventionnels. En voici les grandes familles :

 les sables bitumineux et les huiles extra-lourdes: il s’agit d’un mélange de pétrole semi-solide, de sable, d’eau et d’argile. Ils sont présents un peu partout dans le monde mais les deux plus importants sites sont situés au Canada (Alberta) et au Vénézuela (sur les rives de l’Orénoque);

 les schistes bitumineux : ils représentent un groupe de schistes fins suffisamment riches en matière organique (le kérogène) pour fournir du pétrole et du gaz combustibles. Les principales zones dans lesquelles on peut les trouver sont : États-Unis (Utah, Colorado et Wyoming notamment), Russie, Brésil, République démocratique du Congo, Italie, Maroc, France, Estonie, Australie, Jordanie, Allemagne… ;

 le gaz de charbon ou le gaz de schiste (« shale gas » en anglais): ces gaz sont piégés à faible densité dans des roches argileuses très peu perméables ou dans des gisements de charbon. On les trouve aux États Unis, au Canada, en Chine, en Inde, en Europe. Ces gaz sont connus depuis longtemps, notamment le gaz de charbon, plus communément désigné en français sous le nom de grisou… ;

 le gaz de réservoir compact (« tight gas » en anglais): il s’agit de gaz accumulé dans des réservoirs traditionnels mais qui sont compacts et très peu perméables. Cette faible perméabilité rend le gaz difficile à extraire. Bien que répartis sur l’ensemble de la planète, ils sont majoritairement concentrés en Amérique du Nord, en Russie et en Chine;

 les hydrates de gaz: les plus récemment découverts, ces gaz constitués de méthane et d’eau se trouvent au fond des océans des régions très froides. Leur exploitation est aujourd’hui beaucoup trop couteuse pour être rentable mais les réserves de gaz contenues dans ces hydrates seraient gigantesques : on les estime à deux fois les réserves de l’ensemble des autres ressources fossiles contenues par la Terre…

On l’a compris, les réserves non conventionnelles, même si elles sont encore mal connues, sont considérables. Petroleum Economist estime que les réserves mondiales de gaz naturel devraient pouvoir être réévaluées de 60 à 250% avec le développement des gaz non conventionnels. Quant au pétrole, les compagnies pétrolières ont estimé que les champs de l’Alberta et de l’Orénoque représentent deux tiers du total mondial des gisements de pétrole. Voilà de quoi exciter les convoitises dans un contexte combinant l’augmentation des cours du baril et du gaz et l’amélioration des techniques : le pétrole et le gaz non conventionnels deviennent une alternative de plus en plus rentable, dessinant une nouvelle ruée vers l’or…

Les sables bitumineux de l’Alberta

La principale source de pétrole non conventionnel exploitée à l’heure actuelle sont les sables bitumineux de l’Alberta (Canada). Leur exploitation a commencé dans les années 60 mais s’est intensifiée dans les années 2000, avec l’ouverture de deux nouvelles mines (sur quatre en activité aujourd’hui) et deux autres en construction. Le Canada est le principal fournisseur de pétrole brut et raffiné des États-Unis, avec 20% des importations américaines dont la moitié sont issues des sables bitumineux.

L’extraction se fait dans d’immenses mines à ciel ouvert. Il faut d’abord raser toute la forêt boréale et creuser jusqu’à une cinquantaine de mètres de profondeur pour retirer le sables bitumineux. Le sable doit ensuite être « lavé » à l’eau chaude additionnée de solvants pour en extraire le bitume. Deux tonnes de sables et 5 barils d’eau sont ainsi nécessaires à la production d’un baril de pétrole bitumineux.

Les conséquences environnementales sont catastrophiques: déforestation, pollutions de l’air, du sol et des rivières par les solvants et les dégagements de gaz toxiques, augmentation du nombre de cancers… (voir cet article sur notre site). A cela s’ajoute un bilan carbone désastreux. En produisant un baril de pétrole extrait des sables bitumineux, on génère trois fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que la production d’un baril de pétrole classique, ce qui le rend presque aussi polluant que du charbon!

Une nouvelle technologie “in situ” s’est développée dans les années 2000 pour exploiter les dépôts enfouis plus profondément. De la vapeur est injectée dans des puits ce qui permet la séparation du bitume et du sable dans le réservoir. Les destructions sont moins spectaculaires mais les impacts de cette technique encore expérimentale sur les strates du sous-sol et les nappes phréatiques ne sont pas documentés. Dans l’Alberta, l’industrie pétrolière est devenue reine, foulant au pied les droits des premières nations, piétinant la forêt boréale.

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Le gaz de schiste américain

Quant aux gaz non conventionnels, ils ont connu une véritable explosion aux Etats-Unis ces dernières années. Encouragé par des incitants fiscaux depuis la fin des années 80, le secteur a développé de nouvelles technologies qui sont maintenant arrivées à maturité (forage horizontal et fracturation hydraulique des roches). En moins de dix ans, les coûts d’extraction ont ainsi été quasiment divisés par deux, le nombre de puits s’est lui envolé. La moitié du gaz produit aux États-Unis est aujourd’hui d’origine non conventionnelle.

Cet essor est en train de bouleverser le marché du gaz mondial. Les États-Unis ont en effet nettement réduit leurs importations de gaz au moment même où entraient en activité de très coûteuses usines de liquéfaction (principalement au Quatar). La plupart des grandes compagnies tablaient en effet sur un recul de la production gazière aux États-Unis. Pari perdu. Il en a résulté un surplus d’offre sur le marché et une chute des prix aux États-Unis et en Europe, dont le consommateur n’a pas profité puisque l’essentiel de l’approvisionnement gazier en Europe se fait via des contrats à long terme.

La réussite américaine a soulevé une vague d’intérêt et des dizaines de pays ont lancé des programmes ambitieux pour explorer leur potentiel , espérant trouver la clé de leur indépendance énergétique. En tête l’Australie, mais aussi l’Inde, la Chine, l’Indonésie, l’Argentine, l’Ukraine, l’Afrique du Sud. Plus près de chez nous, l’ancien ministre de l’environnement français, Jean-Louis Borloo accordait en mars dernier dans la plus grande discrétion, trois permis d’exploration à trois entreprises, dont Total, pour prospecter sur un terrain de plus de 9.600 km2 en Aveyron et en Ardèche.
Les grandes compagnies pétrolières n’ont en effet pas tardé à vouloir profiter de la manne du gaz non conventionnel en rachetant des participations dans les petites entreprises américaines et leurs technologies de forage de pointe.

Pourtant cette technologie n’est pas non plus « indolore ». Pour extraire le gaz prisonnier dans la roche, on utilise une technique de choc: la roche est fracturée en profondeur et le gaz est récupéré par l’injection d’un mélange d’eau, de sable et de produits chimiques sous haute pression (voir l’animation suivante pour bien comprendre). A chaque « frack », 200 allers-retours de camion sont nécessaires pour transporter les milliers de mètres cubes d’eau, le gaz et les matériaux de chantier. Un puits peut être fracturé jusque 14 fois et puis on recommence quelques centaines de mètres plus loin.

Voir aussi la capture d’écran google maps, puits du Garfield County, Colorado issue de cet article.

Paysages lunaires, émissions de CO2, risque de contamination des eaux souterraines par les produits chimiques toxiques contenus dans l’eau de fracturation. Selon le documentariste américain John Fosh (voir le documentaire Gasland), du gaz ainsi que d’autres substances suspectes auraient même été retrouvés dans l’eau du robinet des habitants de Fort Worth, au Texas.
Heureusement, les régulations environnementales, bien plus strictes en Europe qu’aux Etats-Unis devraient mettre un solide frein au développement du gaz non conventionnel européen.

Même s’il est difficile de prévoir l’avenir, ces nouvelles sources d’énergie semblent se tailler une place de choix dans notre paysage énergétique. Dans son dernier World Energy Outlook , l’Agence Internationale de l’Energie prévoit que « le pétrole non conventionnel devrait jouer un rôle de plus en plus important dans l’approvisionnement pétrolier mondial d’ici 2035, indépendamment de ce que les gouvernements feront pour réduire leur demande. »

Jusqu’à quand continuera-t-on à se cacher la tête dans le sable (bitumineux)? Jusqu’à quand cette course folle, cette fuite en avant? Les solutions existent déjà pour assurer la transition de nos sociétés vers un avenir pauvre en carbone. Nos gouvernements doivent choisir clairement entre la voie sans issue de la dépendance croissante aux énergies fossiles et le développement massif des économies d’énergies et des énergies renouvelables.

Extrait de nIEWs (n°86, du 20 janvier au 3 février 2011),

la Lettre d’information de la Fédération.

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Cécile de Schoutheete

Anciennement: Développement durable & Énergie