Lettre à Dieu

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Notre père qui êtes aux cieux,
Cela fait un bail que je ne me suis plus adressé à vous ou, pour être tout à fait exact, que je vous ai banni de mon existence. Il en va souvent ainsi des rapports passionnels : la rupture se révèle aussi radicale que les liens furent étroits. Et vous savez combien les nôtres l’étaient lorsque, rejeton certifié d’éducation 100% judéo-chrétienne, biberonné à la peur du péché et à la bonté divine, j’entretenais avec vous un dialogue quasi permanent et vous rendais grâce bien au-delà de ma visite hebdomadaire à l’église. C’est qu’on n’est pas sérieux quand on a 17 ans[[Ah, si ce « pas sérieux » avait pu être du même ordre que celui évoqué par Rimbaud…]] – ou 10, 13, 20… – et que le respect de vos lois, la crainte de vos représailles et la vacuité d’une vie sans vous constituent une trinité sur laquelle repose toute sa personnalité. On n’est pas sérieux mais piteux, à la fois tétanisé par la peur de vous offenser et désespérément confiant en votre toute-puissante bienveillance.

Vous étiez alors pour moi non seulement un guide mais une assurance survie, une sorte de « Céleste Assistance » à laquelle je pensais pouvoir faire appel en cas de besoin, 24 heures sur 24, chaque jour que vous me prêteriez vie, pour autant, bien sûr, que je respecte scrupuleusement les clauses de notre contrat de confiance. Le service ne fut jamais à la hauteur de mes espoirs mais j’ai toujours jugé que c’était de ma faute, que j’avais dû déroger à votre code de bonne conduite et méritais dès lors pleinement votre indifférence.

Ainsi, je ne vous en ai pas voulu quand, en dépit de mes prières enflammées, mes excuses répétées et ma contrition affligée, vous n’avez pas daigné épargner à mes 7 ans traumatisés l’humiliation du sermon parental après que, dans le cadre d’un échange d’informations confidentielles, j’eus dévoilé ma zigounette à une cousine. J’ai estimé que vous me faisiez payer là les lards au chocolat chipés dans le buffet de la cuisine alors que maman m’avait dit et répété de ne pas y toucher. Malgré ma peur panique de ce qu’allaient penser et dire mes père et mère, il ne m’a pas effleuré l’esprit que le meilleur moyen d’échapper à la sanction était de ne pas révéler la faute et qu’il me suffisait, pour éviter de me faire remonter le slip, de taire cette première approche physiologique de la différenciation sexuelle. J’avais parfaitement intégré que le mensonge par omission est un péché aussi salissant pour l’âme que celui par action et je ne souhaitais pas ajouter une tache de plus sur la blancheur de la mienne…
Je vous ai également pardonné de n’avoir rien fait, malgré mes suppliques, pour que la douce blonde squattant mes pensées fasse « le premier pas, même si cela ne se faisait pas, car je n’osais pas rechercher la manière de la voir, de lui plaire, l’approcher, lui parler et ne pas la brusquer, lui dire des mots d’amour sans savoir en retour si elle m’aimera »[[(c)Claude-Michel Schönberg, « Le premier pas », 1974]]. Et lorsque j’ai vu l’objet de mes sentiments flirter avec un autre, j’ai considéré que vous m’auriez épargné cette douleur si j’avais pu empêcher mes yeux de s’attarder sur la couverture de Play Boy chez le marchand de journaux.
J’ai même accepté qu’en dépit de mes adjurations, l’Ethiopie crève de faim et Mémé de son cancer. Dans ces cas-là, j’ai certes éprouvé quelque difficulté à comprendre ce que je pouvais avoir fait de si grave pour ne pas mériter votre intervention mais j’ai conclu qu’il vous était impossible de satisfaire tout le monde et que je devais arrêter d’être égoïste, sans quoi je m’exposais à de nouvelles désillusions. En fin de compte, je dois avoir été un bien mauvais chrétien car j’échoue à trouver dans mes souvenirs la moindre suite positive donnée à une de mes sollicitations, fusse-t-elle totalement altruiste voire purement philosophique (« Aidez-moi à accepter vos choix, aussi incompréhensibles soient-ils. »).

Aujourd’hui, j’ai tourné cette page. Le grand garçon que je suis tardivement devenu a pris le temps de réfléchir, de s’instruire, d’analyser la doctrine que l’on avait bourrée dans le mou de son crâne d’enfant puis a choisi en toute conscience sa propre voie, loin de celle que vous balisiez. Je précise à toutes fins utiles que cette rupture de contrat est sans lien avec l’ouverture à la concurrence que connaît aujourd’hui, mondialisation oblige, le marché de l’âme. Ni les campagnes de promotion agressive de l’Arabe du coin, ni le caractère artisanal voire familial du petit commerce juif ne m’ont séduit. Chez eux comme chez vous, les filières d’accès à la rédemption manquent de sérieux et nombre des conditions générales de vente me sont inacceptables. J’ai préféré opter pour l’autoproduction et l’autogestion bien que cette autarcie spirituelle s’avère in fine moins confortable qu’un fonctionnement sous licence catholique, protestante, islamique, juive ou autre. Mais, au moins, je suis mon propre patron.

Tout ça pour que vous sachiez que la démarche motivant ce courrier n’a rien à voir avec celles qui ont marqué ma jeunesse cul-bénite. Cette fois, je ne vous demande rien ; je veux simplement vous mettre le nez au-dessus de (sinon dans) votre caca divin en espérant que tout le bien dit de vous ne relève pas de la légende et que cette confrontation au merdier que devient votre création vous fouettera l’orgueil et vous rappellera à vos devoirs.

Je vais être direct : la légèreté dont vous témoignez est indigne, dans l’absolu et plus encore au regard de votre statut.
C’est trop facile de prendre une semaine sur votre éternité pour créer le monde, le peupler d’individus « à votre image et à votre ressemblance », « trouver que cela était bon »[[La Genèse]] et puis basta, passer à autre chose. Sorry, God, ce n’est pas comme cela que ça marche ! C’est le B.A.-BA de l’éducation, l’antienne que l’on répète aux minots ayant supplié pour avoir un chien, un chat, un lapin nain, un hamster, un raton-laveur, un poisson rouge ou un Tamagotchi : « Tu l’as voulu, tu t’en occupes ! ». Si vous ne souhaitez pas être recalé à votre propre jugement dernier, vous feriez bien d’intégrer ce précepte. Vous avez voulu la Terre, l’herbe verte, les arbres fruitiers, l’eau, les oiseaux, les grands poissons, les bêtes sauvages et les animaux domestiques, l’homme mâle et femelle, eh bien, vous devez vous en occuper ! C’est un sacré boulot mais il fallait y penser avant ; maintenant, vous n’avez qu’une chose à faire: assumer. Et vite. Car sans vouloir noircir exagérément votre situation, Dieu ou pas Dieu, les charges d’ores et déjà susceptibles d’être retenues contre vous sont plus que suffisantes pour vous envoyer griller en enfer sans passer par la case purgatoire.

Sur le plan éthique – le cœur de votre business… –, il est inconcevable de mettre en chantier un complexe 5 étoiles tel que la Terre pour ensuite s’en désintéresser totalement. Passe encore que vous négligiez le foncier mais vous ne pouvez pas abandonner à leur sort les pauvres bougres que vous y avez lâchés, ces hommes et femmes « à votre image et à votre ressemblance » balancés dans le grand cycle de la vie sans mode d’emploi. Cela relève de la non-assistance à personnes en danger. L’avocat du diable se plaira en outre à constater que les principales victimes de votre laisser-aller sont noires, jaunes ou cuivrées, les blancs jouissant d’un statut étrangement privilégié. De là à vous accuser de racisme…

Vous aviez été particulièrement inspiré en mettant votre fils à la tête du syndic et en lui demandant de rédiger le règlement d’ordre intérieur. Il était bien, ce Jésus : intègre, désintéressé, soucieux du sort des moins favorisés, indifférent aux pressions et aux « qu’en dira-t-on ». Un chic type, vraiment, parfait pour le job. Mais après qu’il lui soit arrivé malheur, vous semblez avoir jeté l’éponge et laissé votre création partir à vau-l’eau…
Vous choisissez votre personnel comme vous l’entendez mais, franchement, à quelques rares exceptions près, les papes, cardinaux, évêques, curés et consorts auxquels vous avez confié la conduite de vos affaires ne sont pas à la hauteur. Votre fiston doit se taper la tête contre les nuages quand il voit certains comportements et entend certains discours. A quoi servait-il qu’il sacrifie sa vie à la cause si c’est pour voir l’entreprise familiale aux mains de ceux qu’ils combattaient et le patrimoine commun péricliter dans un fatalisme apathique ?

Mon propos peut vous paraître brutal mais il est à l’image de votre indifférence. A force d’être loué, encensé et glorifié, vous semblez vous être perdu dans la contemplation satisfaite de votre nombril et la jouissance de la déférence servile dont vous êtes l’objet ; si vous êtes bien ce que d’aucuns prétendent, il est temps d’assumer vos responsabilités, bordel de vous ! La Terre, l’herbe verte, les arbres fruitiers, l’eau, les oiseaux, les grands poissons, les bêtes sauvages et les animaux domestiques, l’homme mâle et femelle et tutti quanti en ont plus que besoin.

Sans rancune ni illusion,

PS : Le contenu de ce courrier n’engage que son signataire !