Les particules fines, tueuses implacables

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Sur le plan météorologique, les derniers jours de novembre ont été marqués par le retour de la neige mais aussi par une absence presque totale de vent. Le dégivrage des voitures au petit matin, véhicule à l’arrêt et moteur tournant, prennent parfois, dans ces conditions, des allures de « bains de vapeur ». A ceci près que le rôle de la vapeur est tenu par les gaz d’échappement des véhicules, nettement moins bénéfiques pour la santé. Les sorties d’écoles se transforment, elles, en scènes de fumage de jambons, les enfants incarnant les cuissots de porcs. Les parents-taxis ont en effet tendance à laisser, plus que de coutume encore, tourner le moteur en attendant leur progéniture pour lui garder un habitacle bien chaud, bien douillet – tout en déversant, juste à hauteur des voies respiratoires des petits, d’impressionnants volumes de poison.

L’occasion semble donc bonne de refaire le point sur ce problème qui, s’il est épisodiquement évoqué dans la presse, ne semble pas encore faire l’objet de toute l’attention nécessaire : celui des particules fines et plus précisément de la part du trafic routier en la matière.

En Région wallonne, en 2004, le secteur du transport routier (au sens large : voitures, camions, bus, …) était responsable de 20,8% des émissions de PM10 (on désigne par ce terme les particules fines de taille égale ou inférieure à 10 µm[Un millimètre (mm) = 1.000 micromètres (µm) = 1.000.000 nanomètres (nm)]]), soit 4.448 t (sur un total de 21.384 t) et de 26,7% des émissions de PM2,5, (particules de taille égale ou inférieure à 0,0025 mm), soit 3.920 t (sur un total de 14.683 t) (source : [rapport analytique sur l’état de l’environnement wallon 2006-2007). En 2007, les parts du transport routier étaient égales à 25,8% des émissions de PM 10, soit 3.893 t (total : 15.090 t) et à 32,4% des émissions de PM 2,5, soit 3.393 t (total : 10.472 t) (source : tableau de bord de l’environnement wallon 2010).

Cette indigeste série de chiffres permet de tirer quelques enseignements intéressants :

 le transport routier a une part plus importante dans les émissions des particules les plus fines, qui sont aussi les plus dommageables pour la santé ;

 les émissions du transport routier ont, en chiffres absolus, baissé d’environ 13% tant pour les PM 10 que pour les PM 2,5. Tous secteurs confondus, la baisse est de 29% – et de 34% pour les secteurs autres que le transport routier ;

 la part relative du transport routier augmente (+ 5% pour les PM10 en 3 ans et + 5,7% pour les PM2,5) : les améliorations dans ce secteur sont donc plus lentes que dans les autres secteurs.

Pour compléter le tableau, il est nécessaire de préciser que les transports sont responsables de 20% des émissions de gaz à effet de serre en Région wallonne : leur part relative est plus importante pour les particules fines.

Faut-il donc bien vite changer de voiture pour en acheter une neuve (terme que les publicités du secteur automobile ont tendance à nous présenter comme synonyme de « propre ») ? Que nenni ! La réalité est bien plus complexe que cette opposition simplissime entre « méchants » (les vieilles voitures) et « gentils » (les nouvelles).

En 2005, dans un document proposant un tour d’horizon de la question très complet[Les particules de combustion automobile et leurs dispositifs d’élimination Données et références]], l’[ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, France) estimait que « Les actions techniques, initiées en réponse à la mise en place des réglementations européennes en faveur de la diminution des émissions, montrent que, dans le domaine des émissions de particules où la question importante de leur taille n’était pas abordée par la réglementation, leur efficacité en termes de réduction massique ne s’accompagne pas d’une mutation significative de la distribution granulométrique. Cette conclusion n’est pas évidente à émettre, puisqu’elle pose le problème de la pertinence de l’approche adoptée par la réglementation. » Traduction : les normes Euro actuelles, qui fixent des limites d’émissions pour divers polluants, dont les particules fines, imposent pour celles-ci des seuils en masse (le véhicule ne peut pas émettre plus de X milligrammes de particules par km roulé). Mais pas en nombre. Ce qui est une erreur : quelques particules fines (taille de l’ordre de quelques µm) présentent la même masse que des milliards de particules ultrafines (dont la taille est égale ou inférieure à 100 nm). Dans les deux cas, la norme en masse peut être respectée, mais avec des effets très différents sur la santé. En effet, la toxicité des particules est liée à leur taille, c’est-à-dire à leur capacité à pénétrer au plus profond des alvéoles pulmonaires où elles agissent par voie mécanique (irritation) mais aussi en déposant des composés dont certains sont cancérigènes ou mutagènes[[On estime à environ 10.000 le nombre de décès annuels imputables aux particules fines en Belgique, dont environ ¼ imputables aux gaz d’échappement… les particules fines du transport tuent donc 2,5 fois plus que les accidents de la route, déjà particulièrement meurtriers !]].

Rien n’est simple, donc, et tout se complique. Les technologies de motorisation ont fait de très grands progrès ces dernières années. Mais qui dit combustion bien maîtrisée dit également formation de particules en grand nombre. Par ailleurs, les procédés de combustion s’améliorant, la taille des particules a tendance à diminuer. « sous certaines conditions, les moteurs diesel modernes produisent un plus grand nombre de particules ultrafines (et donc de nanoparticules) que les moteurs anciens. En d’autres mots, cela démontre que les nouveaux moteurs diesels sont plus dangereux pour la santé humaine que les anciens (OMS, 2000). »[[Collado M. : Analyse de données européennes sur la matière particulaire. Nécessité de révision des normes, ULB, 2006]].

Et la situation est analogue pour les véhicules à essence : les moteurs modernes (à injection directe) émettent plus de particules que les anciennes motorisations. Pour preuve, dans les normes Euro 5 et 6 (qui fixent des limites en matière de polluants locaux émis par les véhicules automobiles), une nouvelle limite vient de faire son apparition. En effet, dorénavant, les émissions de particules des motorisations essences sont limitées, tout comme celles des motorisations diesel, à 0,005 g/km.
Toutes ces données peuvent se résumer en un tableau, synthétisant les chiffres de l’ADEME :

tableau-3.jpg

Utiliser un véhicule, c’est une chose – le produire en est une autre ! Le Centre de recherches conjoint de la Commission européenne a réalisé une étude approfondie du cycle de vie des voitures[[Joint research center : Environmental Improvement of Passenger Cars (IMPRO-car), 2008]]. Pour différents impacts environnementaux (des émissions de gaz à effet de serre aux déchets ultimes en passant par… les particules fines), chaque étape, de l’extraction des matières premières au retraitement en fin de vie, a été analysée en détails. On y apprend, entre autres multiples informations, que la production d’une voiture (essence ou diesel) est responsable de 0,9 kg de particules fines (PM2,5). Ce qui représente le total des particules émises en roulant 36.000 km pour une diesel Euro 4 ou… 180.000 km pour une diesel euro 5 ou une essence à injection directe Euro 5…

Que conclure de tout ceci ? En matière de particules fines, le secteur du transport routier évolue moins positivement que tous les autres secteurs si l’on s’en réfère aux masses de particules émises. C’est un secteur qui stagne, voire régresse si l’on s’en réfère au nombre de particules émises et à leur taille. C’est également un secteur pour lequel le focus est mis sur l’utilisation des biens en oubliant leur fabrication. Bref, un secteur ou tout (ou presque) reste à faire.

Et, justement, les citoyens ont beaucoup à faire. D’une part en interpellant les députés européens, (voir liste) qui peuvent accélérer et améliorer le processus d’adoption de normes en nombre de particules. D’autre part, en adoptant des comportements respectueux des autres et de l’environnement. Du plus « simple » (couper son moteur dès que l’arrêt du véhicule se prolonge au-delà de 10 à 15 secondes) au plus « chamboulatoire » (troquer, au moins partiellement, sa voiture pour le transport en commun, la marche, le vélo…).

Extrait de nIEWs (n°85, du 09/12/2010 au 13/01/2011),

la Lettre d’information de la Fédération.

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