Les dessous de la taxe carbone française

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Le Grenelle de l’environnement a accouché d’un projet de loi relatif à sa mise en ½uvre, lequel précise les priorités françaises en matière de lutte contre le réchauffement climatique mais fait aussi la part belle à la taxe carbone (taxe que, pour rappel, Nicolas Hulot avait en son temps réclamé haut et fort, appelant à l’instauration d’une «taxe carbone en croissance régulière jusqu’à la réduction par quatre des émissions de gaz carbonique». Le projet de loi stipule que «dans les six mois suivant publication (…), l’État étudiera la création d’une contribution dite « climat-énergie » en vue d’encourager les comportements sobres en carbone et en énergie. Cette contribution aura pour objet d’intégrer les effets des émissions de gaz à effet de serre dans les systèmes de prix par la taxation des consommations d’énergies fossiles. Elle sera strictement compensée par une baisse des prélèvements obligatoires de façon à préserver le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises. Au terme de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le résultat de cette étude sera rendu public et transmis au Parlement». C’est ainsi qu’une commission d’experts, présidée par Michel Rocard, ancien Premier Ministre socialiste, a vu le jour pour se pencher sur le sujet. Et elle a remis publiquement ses propositions à l’occasion de la conférence des experts sur la contribution Climat et Énergie qui s’est tenue les 2 et 3 juillet derniers. Et, dans la foulée, le président Sarkozy a officialisé la mise sur pied d’une taxe carbone française.

Avant même que la commission n’expose ses conclusions, une hostilité plus ou moins grande s’est manifestée du côté de la société civile (syndicats, associations de consommateurs et plusieurs secteurs professionnels, etc.). La taxe carbone est donc un des sujets chauds de la rentrée politique française. Comme on pouvait s’en douter, l’annonce par le Président Sarkozy d’une taxe de 17 euros la tonne et ses premières mesures d’accompagnement n’a pas réellement calmé la controverse autour de cet outil fiscal déterminant. Pourquoi 17 euros? Parce-que ce montant est politiquement acceptable.

Quelle assiette ? Quel taux ? Quelle base ?

Répondant à un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’assiette de la CCE devra idéalement, dixit la commission d’experts, soit «refléter le volume de carbone émis lors des processus de production et de transport des produits consommés» (on parle alors d’énergie grise[[L’«énergie grise» indique la quantité d’énergie utilisée pour produire tel ou tel bien de consommation ou mettre au point tel ou tel service et ce, avant tout usage.]]), soit consister en un «prélèvement représentatif du contenu en CO2 de l’énergie». Dans les faits, elle porte « sur le pétrole, le gaz, le charbon en fonction de leur contenu en gaz carbonique, qui est le principal facteur de changement climatique». L’électricité sera donc exemptée, pour motif qu’elle «émet en France très peu de CO2 grâce à notre parc nucléaire» mais aussi qu’elle provient également de sources d’énergie renouvelable. Constestable évidemment quand on sait que la filière nucléaire est loin d’être neutre en CO2 et qu’une telle disposition va augmenter le recours au chauffage électrique. Au coeur de l’hiver, les pointes de demande d’électricité vont donc devoir être amorties par des centrales carbonées.

En tout état de cause, ménages et entreprises sont soumis à la taxe carbone, exception faite toutefois des secteurs industriels les plus polluants (sidérurgie, cimenterie, papeterie), responsables de quelques 30 % des émissions de gaz à effet de serre sur le sol français, qui sont déjà soumis à des quotas d’émission sur le marché des droits à polluer. La Contribution climat énergie couvrirait donc les 70 % des émissions restantes, également partagées entre ménages et entreprises. Cette seconde exception notable ne laisse pas indifférente une partie des observateurs, notamment écologistes et ONG d’environnement.

A l’instar de l’assiette, le taux de la taxe devra lui aussi être fonction des objectifs à atteindre. Il doit prévoir une augmentation graduelle et prévisible de sorte que les acteurs économiques puissent adapter leurs comportements en conséquence. Pour que le système soit efficace, les experts ont estimé[Sur base, notamment, sur la croissance du PIB, le prix de l’énergie, la participation d’autres pays soumis à cet effort de réduction de CO2 et de potentielles innovations technologiques (voitures électriques, captation du CO2…).]] qu’il faudrait que le prix de la tonne de carbone, référence de la CCE, se monte à 32 euros la première année[[A titre de comparaison, la tonne de carbone s’échangeait, en août 2009, à 15,75 euros sur le marché européen d’échange de permis d’émission de CO2 auquel sont soumises les grandes entreprises européennes (certains secteurs sont exclus du système, tels les transports et le bâtiment qui pourtant génèrent quantité important d’émissions de CO2.]], prix qui augmenterait graduellement de 5 % chaque année pour atteindre 100 euros en 2030. Ainsi fixée à 32 euros la tonne, la taxe devrait rapporter quelques 8 milliards d’euros, chaque ménage se voyant soumis à une perception de 170 à 300 euros par an. Finalement, après de longues discussions, le Gouvernement français a comme mentionné plus haut placé la barre à 17 euros la tonne de CO2[[Voir [Pourquoi la taxe carbone a été fixée à 17 euros, paru dans le Figaro du 11 septembre 2009.]], ce qui devrait se matérialiser par une hausse de 0.045 euro par litre de fioul, de 0.04 euro par litre d’essence et de 0.004 euro le kWh de gaz.

Modération pour les ménages

La taxe carbone ne sera pas sans effets pour certaines catégories sociales, plus fragilisées et moins à même de s’adapter. Le gouvernement français, estimant le coût moyen de la taxe à 74 euros par ménage[En réalité, ce chiffre correspond au rapport entre la recette estimée de la CCE pesant sur les ménages et le nombre de foyers fiscaux (36 millions).]] en 2010, ambitionne d’attribuer une compensation moyenne équivalente, toutefois modulée en fonction du lieu d’habitation (rural, grande banlieue) et de sa facilité d’accès. Ainsi, le «dédommagement» attribué s’élèverait à 46 euros pour tout adulte vivant dans un zone desservie par les transports en commun, et à 61 euros quand ce n’est pas le cas. Ensuite, les ménages recevront, en complément, 10 euros par personne à charge. Cette compensation, opérationnelle début 2010, devrait se matérialiser soit par une baisse de l’IPP, soit par un «chèque vert»[[Voir aussi [Taxe carbone : une ponction d’un côté, un chèque de l’autre, paru dans Le Figaro le 11 septembre 2009.]].
Il s’agit donc d’une taxe modérée selon un double critère géographique et familial, rassurant pour les élus de droite, mais peu satisfaisant pour les acteurs sensibles aux critères sociaux.

Les entreprises

Alors qu’il était initialement question que les entreprises se voient « dédommagées » par le biais d’un reversement ou d’allègements de charge – le temps qu’elles adaptent leurs modes de production -, l’Elysée a finalement décidé de supprimer purement et simplement la taxe professionnelle pesant sur les investissements. Et ce, à dater de 2010. Par ailleurs, les secteurs fortement dépendants du pétrole, à l’instar de la pêche, de l’agriculture et des transports, devraient quant à eux bénéficier d’aménagements spécifiques, aménagements dont les modalités sont encore à préciser.

Tant du côté des ménages que des entreprises, les mesures compensatoires devraient être limitées dans le temps si l’on veut que tous soient réellement incités à modifier leurs comportements et, en conséquence, à alléger leur CCE. Mais sur ce point, rien est encore acquis…

Une réforme sans hausse fiscale

La mise en place de la CCE devrait donc répondre au principe de neutralité fiscale et rencontrer les promesses du Président Sarkozy : «Je n’augmenterai pas les impôts car cela retarderait longtemps la sortie de crise et parce qu’en augmentant les impôts au niveau de prélèvements où nous nous trouvons, on ne réduit pas les déficits, on les augmente». Le rapport de la commission abonde d’ailleurs dans ce sens, arguant que «cette contribution ne peut en aucun cas correspondre à un accroissement de nos prélèvements obligatoires. Elle doit se substituer à d’autres impôts et il conviendra au fur et à mesure de sa croissance de préciser lesquels». Pourraient ainsi être baissée la fiscalité sur le travail qui est, en France, six fois plus élevée que celle pesant sur les ressources environnementales (celle-ci représente 3.8 % du produit intérieur brut).

Du côté de l’opposition, par contre, on ne voit pas nécessairement cet «aménagement» fiscal d’un bon ½il. Le PS par exemple, ardent défenseur de la taxe carbone, met en garde le Gouvernement, lui recommandant de ne pas dévoyer le principe de la CCE et de ne pas se servir des recettes générées pour combler les déficits du budget de l’État.

L’envers du décor

Différents acteurs, tous issus de la société civile, se sont tour à tour levés contre la taxe carbone. Certains, à l’instar d’Attac France, arguent que celle-ci pourrait encore davantage creuser les inégalités sociales. L’association dénonce par ailleurs l’exclusion de l’électricité dans l’assiette de la CCE, un taux insuffisant que pour véritablement rencontrer les objectifs fixés, l’exemption des entreprises les plus polluantes du mécanisme ainsi que le principe de la neutralité fiscale qui exclut tout moyen nécessaire à la reconversion des activités et à l’aide aux personnes démunies[ATTAC (2009), [La taxe carbone : entre effet d’annonce et dure réalité]].

La pilule ne passe pas non plus du côté de l’opinion publique qui, d’après l’enquête CSA réalisée à la demande du Nouvel Observateur[[Il s’agit d’un sondage exclusif réalisé par téléphone les 29 et 30 juillet derniers sur un échantillon national représentatif de 966 personnes âgées de 18 ans et plus constitué d’après la méthode des quotas (sexe, âge, CSP).]], serait tout au plus prête à dégager annuellement 10 euros pour la taxe carbone. Seuls 6 % des personnes interrogées (pour beaucoup jeunes, cadres ou vivant en banlieue chic) seraient disposés à sortir un billet de 100 euros… Alors que, en vertu des modélisations du rapport Rocard, la CCE devrait coûter au citoyen jusqu’à 300 euros par an (et 74 euros en moyenne si l’on s’en réfère aux dernières prévisions sarkozystes, le prix de la tonne de carbone ayant été raboté à 17 euros). Une grande majorité (86 % de l’échantillon) se dit pourtant favorable au principe d’une taxe environnementale. Mais de la théorie à l’action, il subsiste manifestement encore un (très grand) pas…

Inégalité de traitement entre les acteurs économiques ?

Rocard suggère au Gouvernement français d’exempter les secteurs les plus énergivores, justifiant que ceux-ci participent déjà à l’effort par le biais du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre imposé par l’Union européenne. Sarkozy n’éprouve aucune difficulté à le suivre! Or, notons que ces quotas ont jusqu’à présent été alloués gratuitement. Certes, une mise aux enchères devrait voir le jour, mais seulement à partir de 2013…

En outre, il ne faut pas négliger les aléas imputables au jeu du libre marché du carbone, le principal étant sa volatilité. Alors que le prix du permis était relativement stable à ses débuts, oscillant entre 20 et 30 euros, il a ensuite chuté drastiquement, passant de 30 à 13 euros en quelques jours seulement[Voir BRÉCHET, Th. (2006), [Le prix du CO2 s’effondre : bonne ou mauvaise nouvelle ?, carte blanche parue dans Le Soir.]]. Actuellement, ce prix tourne autour de 15 euros… contre 32 euros pour la CCE en 2010, qui sera ensuite augmentée de 5 % chaque année pour atteindre 50 et 100 euros respectivement en 2020 et 2030. L’option « 17 euros » met a priori à mal ces résultats attendus.

Par ailleurs, la CCE devrait être implémentée dans un cadre fiscal neutre, avec un abaissement des charges pesant sur le travail. N’est-ce pas aussi un cadeau fait aux entreprises (rappelons, à cet égard, que la réforme de la taxe professionnelle devrait alléger les entreprises de quelques 4.5 à 5 milliards d’euros… alors que leur «contribution» au travers de la taxe carbone ne s’élèverait qu’à 1.9 milliard d’euros) ? Est-ce aux ménages à financer cette baisse d’impôt jusqu’alors payé par les entreprises elles-mêmes ? Certes, on dira que baisser les charges patronales booste l’emploi, ce qui bénéficie, in fine, aux citoyens. Encore faut-il que les secteurs visés soient intensifs en main-d’½uvre… Et puis, le lien entre baisse d’impôts et création d’emplois n’est pas, comme nous le verrons ci-après, aussi systématique que l’on veut nous faire croire[Voir aussi : BODART, V., LEDENT, Ph. et SHADMAN, F. (2008), [Comment la croissance économique et le coût salarial déterminent-ils l’emploi en Belgique ?.]].

La neutralité fiscale, une bonne chose ?

Conformément au principe de la neutralité fiscale, les recettes résultant de la taxe carbone devraient être recyclées via la baisse d’autres prélèvements.

En théorie, ce remaniement fiscal est à même de générer un double dividende «emploi-environnement», lequel «fait référence aux deux avantages, ou dividendes, que pourrait apporter un redéploiement fiscal en faveur de l’environnement, qui s’effectuerait sans incidence sur les recettes : le premier dividende est une protection de l’environnement plus efficace (meilleure efficience statique et dynamique des taxes d’environnement) tandis que le deuxième résulte de la disparition d’autres taxes créant des distorsions»[[OCDE (2001), Les taxes liées à l’environnement dans les pays de l’OCDE. Problèmes et stratégies.]], à l’instar des taxes pesant sur le travail. Pourtant, la théorie du double dividende ne se vérifie pas nécessairement dans les faits. C’est du moins ce qu’affirme l’OCDE : «en cas de rigidités nominales des salaires, l’introduction d’une taxe liée à l’environnement avec la hausse des coûts de production et du niveau général des prix (et la diminution des salaires réels) qui l’accompagne, peut avoir une incidence négative sur l’emploi qui contrebalance l’effet positif sur l’emploi de la réduction de l’impôt sur le revenu des personnes physiques ou des prélèvements sur les salaires. De plus, les taxes liées à l’environnement sont des taxes spécifiques, d’assiette souvent limitée, et impliquent une charge supplémentaire importante du fait que les taxes d’environnement augmentent les prix à la consommation, réduisent les salaires réels, diminuent l’offre de main-d’½uvre et les recettes de l’impôt sur le travail, exigeant le relèvement d’autres impôts pour préserver le volume total des recettes.»[[OCDE (2001), Les taxes liées à l’environnement dans les pays de l’OCDE. Problèmes et stratégies.]]

Au contraire, le produit de la taxe carbone devrait aussi être utilisé pour accompagner citoyens et entreprises à s’adapter au mieux à la transition énergétique, par exemple en octroyant des prêts à taux réduit ou à taux zéro pour des investissements économiseurs d’énergie (à destination des bas revenus) ou encore en améliorant quantitativement et qualitativement l’offre de transports en commun. Les mesures d’accompagnement sont en effet préférables aux mesures compensatoires puisque ces premières permettent de conserver le «signal-prix» envoyé par la taxe carbone.

Une vaste hypocrisie ?

De son côté, Vincent Sépulchre, expert à la cellule fiscale de la Région wallonne et professeur à l’Université de Liège, classe la taxe carbone au rang des hypocrisies de l’État français. Il s’explique : «Sous couvert d’argument environnemental, on cherche à ramener de l’argent dans le budget de l’État pour pouvoir alléger la charge fiscale sur le travail. On a juste trouvé un alibi pour le faire avaliser par la population.» L’expert s’interroge également sur l’efficacité de la dite taxe : «A 7-8 cents le litre, espère-t-on vraiment un changement de comportement des citoyens ? Soyons francs, cela ne va avoir aucun effet. C’est un simple additionnel au droit d’accises.» Et d’ajouter : «Comment a-t-on fixé les 6 à 8 cents ? Personne ne peut dire le coût environnemental d’une tonne de CO2 rejetée dans l’atmosphère.»

En guise de conclusion…

L’outil se veut réformiste dans son approche de la fiscalité mais est tellement affaibli (fixée dernièrement à 17 euros) qu’il ne donnera pas les résultats escomptés (le taux défini par le groupe des experts constitue le minimum nécessaire pour atteindre les objectifs de réduction par 4 des émissions de gaz à effet de serre de la France) et ne changera pas fondamentalement la donne. Mais il ne faut pas pour autant abandonner l’idée d’une fiscalité écologique forte (en cela, l’exemple de la taxe française constitue déjà un pavé dans la mare, qu’il conviendra certes d’améliorer – rappelons à cet égard que la spécificité de la taxe carbone réside dans le fait qu’elle se veut évolutive et progressive – mais qui est sans conteste à encourager[Voir [Taxe carbone : un moment historique, paru dans Le Figaro le 9 septembre 2009.]]), aux contours scrupuleusement balisés, notamment eu égard aux plus défavorisés, et couplée aux autres instruments de politique environnementale (normes, permis négociables…).
La CCE figure parmi la panoplie d’instruments nécessaires pour affronter le défi climatique mais ne peut assurément être considéré comme le seul et son efficacité est, comme pour les autres, liée à l’objectif poursuivi.