Le Plan Fédéral des Grandes Villes : une espèce en voie de disparition?

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L’article « Votre quartier, l’éco-quartier qui s’ignore », paru dans les nIEWs n°81 de la Fédération, a suscité beaucoup de réactions (la RTBF-radio, des services de l’urbanisme communaux, la presse écrite du Hainaut et nationale, des membres de nos associations – soulagés de voir confirmée leur perception de ce que devrait être un éco-quartier). Au milieu du chorus, nous pouvons pointer la voix incisive de Christophe Pire. Son credo de base tient en quelques mots. « Je suis convaincu qu’il n’y a que la structure ville qui puisse répondre à des objectifs environnementaux! »

Christophe Pire connaît la chanson des inégalités culturelles et environnementales. Il est coordinateur du projet de quartier pour Angleur, les Vennes et Kinkempois, trois quartiers de Liège regroupés en un seul quartier prioritaire dans le cadre du Plan Fédéral des Grandes Villes. Intrigué de découvrir un de ses quartiers mis à l’honneur dans l’article d’octobre, il n’a pas hésité à nous donner sa version de la réalité et a accepté de discuter plus avant.

« A bien réfléchir sur le fond du problème, ce n’est pas en mettant plus de maisons quatre façades à la campagne qu’on résoudra la question du logement. Rien que sur l’aspect transport, c’est une catastrophe géante. Cette façon d’habiter accentue le phénomène des déchets et des chancres. Les entités urbaines ont leur part de responsabilité là-dedans : les lieux urbains ne sont pas faciles au départ et les réalisations qui s’y implantent rendent la vie, la circulation, la sécurité encore plus compliquées, tout du moins de façon transitoire. On mise sur des projets urbanistiques gigantesques qui ne peuvent être assumés par les autorités qu’à condition de modifier le reste du paysage. La démarche est profondément antinomique! Parce qu’on construit du neuf, le reste alentour devrait s’adapter, donc se laisser démolir? Je pense notamment aux gares, aux centres commerciaux en pleine ville, qui font table-rase ou exigent des coupures dans l’espace public pour pouvoir fonctionner. D’un autre point de vue, ces projets permettent aux villes de rayonner et d’assumer leur rôle de métropole culturelle, sociale et économique, de sortir de l’immobilisme. L’important est de se remettre sans cesse en question pour que les futurs projets s’intègrent encore mieux au tissu urbain existant. Les villes ont aussi des problèmes de mobilité, d’infrastructure. Il y a nécessité à cet égard d’avancer sur plusieurs fronts, en incluant davantage les associations. A Liège, l’ASBL Pro-vélo, par exemple, a encore de beaux jours de militance devant elle, que ce soit en matière de parcage, de marquage au sol à respecter par les autres usagers ou de leçons de conduite défensive. »

Le Plan Fédéral des Grandes Villes a pour but de revaloriser les villes belges en les aidant à faire face à leurs difficultés. Dix-sept villes font partie de cette opération qui dure depuis dix ans. « La vie en ville, plus particulièrement le fameux retour à Liège, était déjà un challenge inscrit de longue date dans l’agenda des politiques locaux, le Plan Fédéral des Grandes Villes a donc rencontré là une attente. » Chaque grande ville a dû identifier, à l’aide de chercheurs dûment mandatés, des quartiers prioritaires. Chômage des jeunes, problèmes d’insertion sociale, nombre de personnes occupant un logement à loyer modéré, voilà quelques uns des critères chiffrés qui ont mis Angleur dans la liste des huit quartiers prioritaires liégeois, en trio avec les Vennes et Kinkempois. Des chiffres sans doute accablants, mais que Christophe Pire considère avec un recul débonnaire : « Angleur est un cas à part, véritablement privilégié : nature à portée de main, patrimoine architectural, population dense et mélangée, mairie de quartier, gare ferroviaire, commerces, RAVEL reliant le centre ancien de Liège à Tilff. ». Loin de lui l’idée de contredire les atouts mis en avant dans la démonstration innocente des nIEWs d’octobre!

Christophe Pire travaille avec une petite équipe de trois animateurs : jeunesse, socio-sportif (!) et intergénérationnel. La Ville de Liège est leur employeur. Mais c’est le Plan Fédéral des Grandes Villes qui subventionne la Ville et fournit ainsi de quoi payer les salaires. « Nous dépendons de départements différents; je ne suis pas le chef de service de mes animateurs. Dans la pratique quotidienne, nous nous référons autant à la hiérarchie des services communaux qu’à celle, plus informelle, qui nous lie tous les quatre ».

La consultation des forces vives

« D’emblée, le service s’est présenté à la population locale comme désireux de connaître les attentes et la réalité de terrain. Cela se passait en 2000. Nous avons mené une enquête auprès de toute une série de personnes que nous avions identifiées comme forces vives, à savoir des associations, des services publics, ainsi que des gens de toutes professions et occupations que distinguait leur capacité à être en contact avec les autres habitants des trois quartiers. L’enquête portait principalement sur les points forts et les points faibles : ce qui serait à améliorer, ce qui serait à maintenir, voire à protéger, pour rendre ce lieu de vie plus attrayant. Il n’y avait pas de limite imposée du point de vue des matières qui pouvaient être abordées. Aujourd’hui, c’est encore le cas. Si nous faisons le constat qu’une association ou plusieurs riverains ont une préoccupation récurrente liée au quartier et qu’ils nous demandent de les seconder, nous pouvons le faire. »

Pour mener à bien ses projets, approuvés au préalable chaque année par le Collège Communal, l’équipe rencontre les services de la Ville régulièrement et leur demande l’aide technique, le matériel, les solutions logistiques. « Ils nous apportent leur savoir-faire, et cela nous donne l’occasion de travailler ensemble. La transversalité entre les services communaux se trouve être un des objectifs du Plan Fédéral des Grandes Villes. La réalisation des projets est étroitement liée au calendrier et au rythme communal. Cela implique une information sérieuse à destination des forces vives du quartier, en amont lors du choix d’un projet, pour que celui-ci soit réaliste par rapport aux possibilités. Il faut en plus choisir des projets qui permettront de garder le fil tout au long de la réalisation, afin que les associations et les riverains ne s’essoufflent pas. » Christophe Pire en profite pour rappeler que s’il existe de nombreux autres projets de soutien aux quartiers en difficulté, tels que les projets de renouveau urbain, les contrats de sécurité, les Zones d’Interventions Prioritaires/Quartiers d’Initiative, la volonté est de communiquer, de travailler ensemble. « On a là un beau sujet à débattre : la multiplication des organes et systèmes d’aide. La quantité de travail ne fait pas défaut, il faut être clair. S’il y avait un jour une tentative de simplification, des postes n’auraient pas à être supprimés. »

Des ruptures géographiques

Ce qui fait obstacle à un travail efficace, c’est plutôt la configuration de la ville et des infrastructures. « Nous avons fait des marches exploratoires avec des femmes des trois quartiers, afin de relever les lieux générateurs d’insécurité. Avec l’asbl GAMAH, la démarche a été refaite avec en point de mire la mobilité des personnes handicapées ou malvoyantes. Tout cela nous a permis en tant qu’équipe de mieux connaître les recoins à l’intérieur de notre zone du Plan Fédéral. Les fractures constituées par les voies rapides, le croisement du chemin de fer, la Meuse, l’Ourthe, nous sont apparues avec intensité. Ce sont de véritables barrières physiques, qui font que chacun des quartiers constitue une portion de ville sans lien avec sa voisine. Les habitants se considèrent comme totalement étrangers au quartier voisin. Durant la décade qui vient de s’écouler, cette réalité nous a amenés à conduire des projets similaires, en parallèle, au lieu d’un seul. »

Pour chaque quartier prioritaire, il y a une délimitation officielle propre au Plan Fédéral des Grandes Villes. Elle est tracée sans tenir compte des circonscriptions existantes au préalable, comme par exemple les divisions techniques des différents services communaux mis en place sur le territoire de la ville depuis parfois un demi-siècle. « Nous nous sommes intéressés à la cartographie des divisions qui couvrent les quartiers de notre zone, elle nous semblait indispensable pour savoir qui s’occupe de quoi à tel ou tel endroit. Les divisions de la police ne correspondent pas non plus à celles du ramassage des déchets. Notre quartier dépend ainsi de deux commissaires de police; ça n’est pas anodin! Il est vite apparu indispensable de composer un document cartographique qui reprendrait l’ensemble de ces subdivisions et leur périmètre précis. Les animateurs et moi, nous nous référons constamment à cette carte « maison » car elle permet de connaître à la fois l’organisation des services communaux et la réalité urbanistique complexe de Liège. »

Christophe Pire esquisse pour ces dix années un bilan positif. « Je crois que nous avons réussi, à force de réalisme quant aux possibilités d’action, à gagner un peu de terrain sur l’individualisme et le pessimisme. » Ce n’est pas la quantité qui compte mais la qualité, notamment pour le nombre de « fidèles » dans les groupes et les associations qui portent les projets : « Il faut s’adapter et travailler avec ce qu’on a. Personne n’est sélectionné, que ce soit par une association, une élection, ou encore par les autorités communales. Ainsi, avec des petits noyaux de personnes volontaires vraiment intéressées, on peut faire bouger les choses en fonction des contraintes et des besoins locaux. Il faut du participatif ouvert, pas du participatif fermé. »

Fini les plaintes sans fin ni frein

« Ma conviction est que la participation citoyenne doit venir des gens, elle doit être ascendante. Elle ne doit pas être descendante, comme une autorisation qui viendrait d’en haut. Souvent, elle l’est, non par la seule faute de la structure « service public » mais aussi du fait que la chose publique est peu discutée entre voisins, entre riverains. Les gens se tracassent pour ces sujets-là, mais au lieu de d’abord en parler entre eux, d’arriver à se comprendre, à échanger des vues, ils se font forts d’aller rouspèter auprès de qui il faut, c’est à dire quelqu’un de haut placé. » Nos concitoyens alimenteraient en quelque sorte le régime des faveurs? « Sans doute faut-il réapprendre à discuter avec ses semblables. Et ce, avant les conversations avec les autorités! Au lieu de se plaindre isolément à perte de vue, les gens qui se parlent formulent des idées qui, ensuite, pourront être portées collectivement au-devant de décideurs. » Christophe Pire et ses animateurs veulent susciter une démarche responsable : « Si un problème existe, ça ne sert à rien de râler pendant cent ans, il faut le définir sous toutes ses coutures et voir comment on envisage l’après-problème, ce qu’on veut à la place. Ensuite, nous envisageons ensemble une visite à l’échevin adéquat. »

« Des projets trop ambitieux financièrement doivent être discutés jusqu’à ce que, à notre échelle, on soit dans une démarche qui a des chances d’aboutir. On ne va pas régler le problème de l’emploi en Wallonie, ni construire un complexe de cinéma huit salles! » Le coordinateur trouve sa raison d’être dans cette transformation des envies en projets concrets ayant un intérêt collectif. « Avec l’expérience, on finit par bien connaître les arcanes du fonctionnement communal; je joue dès lors d’autant plus facilement mon rôle de facilitateur, de personne-ressource, qui peut aiguiller les gens vers le bon interlocuteur. » Christophe Pire ajoute pour conclure : « Le Plan Fédéral des Grandes Villes est un révélateur de problèmes, pour autant il ne doit pas non plus devenir une chambre d’écho ou un lieu de mutinerie. Il faut beaucoup écouter et faire émerger des récriminations ce qu’elles recèlent de constructif pour que, au final, le quartier dispose de réalisations dont il a vraiment besoin, qu’il a envie de garder et de respecter. »

Se serrer les coudes face au quotidien

A l’heure de la redistribution des cartes dans notre petite Belgique, le Plan Fédéral des Grandes Villes va-t-il passer à la trappe, malgré sa pertinence en tant que moteur pour des milliers de projets? La coordinatrice générale pour Liège, Latifa Es Safi, témoignait récemment dans un entretien avec l’Union des Villes et Communes de Wallonie de l’occasion unique qu’il offre aux villes wallonnes, flamandes et bruxelloises de se rencontrer autour de thèmes vitaux pour leur fonctionnement quotidien.

L’entretien avec Christophe Pire a abordé la précarité de cette jeune institution. Mais le coordinateur a déjà vu planer bien des menaces sur les emplois de l’équipe angleuroise et préfère se concentrer sur le futur. Inspiré par la nIEWs « Votre quartier, l’éco-quartier qui s’ignore », il planche pour 2011 sur un seul projet, celui de faire de son quartier prioritaire un vrai éco-quartier! S’il est approuvé par le Collège Communal liégeois et le Plan Fédéral des Grandes Villes, chaque point de la liste publiée par Wikipedia sera soumis à la sagacité des habitants. Quels critères semblent accessibles et en même temps indispensables? Quels critères représentent un plus grand effort, mais sont à acquérir sur le champ? Quels points laisser de côté en attendant que les temps soient mûrs? Afin de favoriser les liens interpersonnels et l’implication, il y aura autant de sous-projets que de groupes d’habitants prêts à défendre à 100% un petit cheval de bataille. Pourraient ainsi voir le jour : un groupement d’achats communs, un système de compostage collectif, un projet de restaurant/lieu de rencontre, par exemple. Un tel projet devrait donner les moyens de répondre à l’urgence environnementale en s’inscrivant dans la réalité d’une population qui a souvent du mal à nouer les deux bouts.