La révolution en dormant

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Et si, finalement, la meilleure chose à faire pour lutter contre les changements climatiques et les autres atteintes à notre environnement était de… ne rien faire ?
Je sais, exprimée de la sorte, l’hypothèse peut paraître saugrenue voire franchement stupide. Pourtant, derrière son apparence délibérément provocatrice et profondément démobilisatrice, elle affiche une pertinence et une lucidité que l’on peut nuancer mais difficilement nier. Démonstration.

Quiconque maîtrise les données du problème s’accorde sur un constat : l’humanité se trouve aujourd’hui à un tournant de son histoire ; il lui faut repenser totalement son mode de vie, ses manières de produire et de consommer sans quoi la pression qu’elle exerce sur son environnement conduira à des explosions en chaîne. Cela a été dit, redit, répété et martelé. En vain. Les échéances clés se rapprochent à grande vitesse, la machine infernale semble s’emballer mais nous restons impassibles face à un phénomène qui nous dépasse. Et c’est bien là que se situe le problème : ce dont on nous parle échappe à notre entendement.
Que signifie en effet pour le citoyen Lambda la notion de « changements climatiques » ? Il peut déplorer l’estompement des saisons, les étés pourris ou un temps trop souvent « dégueulasse » ; de là à faire le lien entre ces constats aussi empiriques que badins et un réchauffement global sensé avoir des effets catastrophiques… De même, faire comprendre à Lambda que ses choix quotidiens influent sur le phénomène alors que tout autour de lui continue à l’inciter aux comportements déclarés condamnables s’apparente à une expérience touchant aux limites du rationnel. Rouler moins alors que les publicités pour voiture squattent l’espace ? Faire de l’avion un transport d’exception alors qu’un semaine « All In » en Egypte s’avère plus économique qu’un week-end en Ardenne ?? Produire et consommer moins alors que le discours ambiant assène à longueur de journée que la sortie de crise passera par une relance de la production et de la consommation ??? Face à ces discours schizophréniques, notre citoyen se montre pragmatique et égocentrique. S’il passe aux ampoules électriques ou diminue la température de son sweet home, c’est dans l’optique de préserver l’état de ses finances et non le bien-être de la Planète. Pour le reste, il fait ce qui lui plaît et que ceux qui ne partagent pas cette philosophie lui jettent la première pierre. (Autant dire qu’il devrait sortir sans trop de dommages de cette lapidation…)

Soyons honnêtes et refusons l’hypocrisie politiquement correcte qui voudrait que l’Homme soit un animal intrinsèquement bon et généreux. Si ce qui motive son action était le bien commun, il y a longtemps que la pauvreté serait éradiquée, l’accès à l’eau potable généralisée et le développement mondialisé (liste malheureusement non exhaustive). On disserte depuis des siècles sur la question, les plus éminents philosophes y sont allés de leur contribution sans jamais faire consensus mais les faits sont là, plus implacables aujourd’hui encore qu’hier : notre moteur existentiel fonctionne au matériel, à ces biens que nous consommons, accumulons ou fantasmons. Espérer une remise en cause collective de cette « valeur » essentielle pour solutionner un problème dont une infime minorité a conscience se situe au-delà de l’utopie.
Les grandes réformes sociales ont abouti parce que le progrès collectif rejoignait les avancées individuelles. C’est l’agrégat des aspirations personnelles qui a fait triompher la revendication collective. On peut le déplorer mais c’est un fait : on se mobilise peu pour les causes étrangères à notre vécu, aussi nobles, interpelantes et urgentes soient-elles. Or, l’enjeu environnemental reste trop vaste et trop flou pour susciter appropriation, mobilisation et revendication.

Partant de là, il appartiendrait au politique de réorienter les choses au nom de l’intérêt collectif. Seulement voilà : nos dirigeants doivent compter avec l’égocentrisme de l’électeur-censeur. Mieux vaut dès lors ne pas nourrir de trop grands desseins : une baisse d’impôt est plus profitable à la réélection qu’un plan de réduction massive des émissions de gaz à effet de serre.

Alors, il reste à attendre que le mal fasse son ½uvre, que la situation se dégrade à un point tel que ses conséquences nous affectent directement ou influent sur les choix stratégiques des maîtres de l’économie. Bien sûr, il sera trop tard pour éviter tout ce qui pouvait l’être, certains dommages s’avèreront irréversibles mais les actions fortes et radicales demandées en vain depuis de trop nombreuses années se mettront enfin en ½uvre. Parce que la gravité du mal et l’urgence du traitement ne tolèreront plus le moindre évitement. Ce sera dur, désagréable mais incontournable.

Et nous voilà revenu à notre hypothèse originelle: au regard de cette grille d’analyse, la meilleure chose à faire serait bel et bien de ne rien faire afin d’accélérer le processus de délitement et arriver plus vite à ce point de rupture qui imposera le changement. Faute d’une évolution volontaire, autant ne pas retarder une inévitable révolution autoritaire… Evidemment, cela demande une dose de cynisme incompatible avec l’existence même de cette analyse.

Bon, allez, je vais me prendre un Xanax.