La parenthèse enchantée (Pentecôte politique)

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Exceptionnellement, cette chronique sera « Prise de tête Free ». Je ne souhaite pas, en effet, ajouter une couche de sombritude à la marée grise ayant souillé le moral des troupes suite au naufrage du printemps. Je m’en vais donc (tenter de) ré-enchanter mon propos, faire souffler un vent d’espoir et de positivisme sur la steppe de ma désespérance, mettre à l’honneur l’envie de se réjouir plutôt que l’obligation de s’énerver bref, pour une fois m’enthousiasmer de ce que le monde pourrait être rose plutôt que me révolter parce qu’il est noir. Ce n’est pas gagné mais je dois y croire. Ça va d’aller !

Pour commencer, je vous invite à jouer ensemble.

Devinerez-vous à qui l’on doit la sentence suivante : « Je ne veux plus de cette représentation matérialiste du bonheur : je consomme, je possède, donc je suis ! » ?
Cinq propositions pour vous aider : le Pape François / Emily Hoyos / Paul Ariès / Paris Hilton / Benoît Lutgen.
Suspense…
La bonne réponse est Benoît Lutgen, dans son discours aux cdHiens réunis en congrès doctrinal le 27 avril dernier à Louvain-la-Neuve : « Productivisme et consumérisme vont de pair, comme libéralisme et socialisme. Je ne veux plus de cette représentation matérialiste du bonheur : je consomme, je possède, donc je suis ! »

On s’en fait une autre ?

Qui a écrit : « Nous le savons pourtant intuitivement : rien de ce qui nous rend heureux dans une vie, tomber amoureux, faire des enfants, trouver une fonction sociale valorisante, cultiver des amitiés et accomplir de belles choses, rien de tout cela ne s’achète. » ?
La réponse se trouve dans le quintet que voici : André Comte Sponville – Paul Magnette – Noémie Happart (Miss Belgique 2013) – le Dalaï Lama – Bernard Wesphaël.
Roulez tambours, sonnez trompettes…
Ces mots pleins de sagesse sortent de la plume de Paul Magnette. On peut les lire dans « Le Monde à l’envers, chroniques pour une sortie de crise », ouvrage que le bourgmestre de Charleroi, président du PS et sex-symbol intergénérationnel vient de publier aux Editions Luc Pire. En contexte et en quasi-intégralité, cela donne : « Une économie reposant sur la croissance, et aussi intensément consommatrice d’énergie et de matières premières que la nôtre, est inévitablement amenée à se heurter un jour ou l’autre au fait que ces ressources ne sont pas inépuisables. (…) Le deuxième argument qui plaide en faveur d’une modération structurelle de la croissance est d’ordre culturel. Trente-cinq ans d’enquêtes économiques indiquent que bien que nous ayons connu une croissance extraordinaire de notre niveau de vie et de consommation au cours de cette période, notre satisfaction ne s’est pas accrue. (…) La croissance est donc incapable de nous rendre heureux, elle aurait même tendance à nourrir une insatisfaction permanente. Si cela est vrai, la question urgente ne devrait plus être comment produire plus, mais comment produire mieux et surtout mieux répartir la richesse collective. (…) Nous ne casserons jamais la spirale de l’insatisfaction constante des classes moyennes si l’on ne parvient pas à convaincre que, passé un certain seuil de revenus, indispensable à mener une vie digne, l’argent ne fait pas le bonheur. Nous le savons pourtant intuitivement : rien de ce qui nous rend heureux dans une vie, tomber amoureux, faire des enfants, trouver une fonction sociale valorisante, cultiver des amitiés et accomplir de belles choses, rien de tout cela ne s’achète. »

A priori, il y a dans ces deux déclarations plutôt de quoi se réjouir. Considérant qu’Ecolo s’inscrit par essence (et ma configuration du jour m’interdit toute réflexion sur la part de pragmatisme aujourd’hui incorporée à ladite essence) dans cette démarche visant à remettre l’économie au service de l’Homme, on semble en effet se trouver face à une majorité de responsables de partis francophones désireux de changer de modèle et, oui, osons les mots, de faire émerger un autre monde. Et ça, c’est vraiment chouette !

Evidemment, la face sombre de mon cerveau peine à se rallier à cette vision idyllique et mobilise ses neurones afin de transmettre à mon esprit critique les bonnes raisons d’en douter.

« La défense de l’environnement exige de nous une rupture fondamentale. (…) Une révolution dans nos façons de penser, dans nos façons de décider, une révolution dans nos comportements, dans nos politiques, dans nos objectifs et dans nos critères. » : cet appel vibrant à la révolution lancé par Nicolas Sarkozy ne constitue-t-il pas l’illustration quasi caricaturale de l’abîme qui peut séparer le discours des actes, de la différence souvent sans nuance qui existe entre un positionnement politique opportuniste et des convictions idéologiques profondes ? Celui qui prônait la « rupture fondamentale » avec le système dominant ne s’empressa-t-il pas, tout au contraire, de le servir aveuglément, adoubant le nucléaire et l’agriculture industrielle, développant les infrastructures routières, stigmatisant l’impôt et la sécurité sociale, vénérant la croissance jusqu’à vouloir aller la chercher « avec les dents » ? Ne conviendrait-il pas dès lors de tirer les leçons du passé et considérer ces conversions avec prudence sinon suspicion ?

Quand le président Lutgen assène que «croire que le consumérisme ou le productivisme seront des réponses pour aujourd’hui et pour demain, c’est se leurrer »[[La Libre Belgique, 29 avril 2013]], on aurait (presque) envie de lui coller un gros poutou. Mais pourquoi ajouter dans la foulée « je laisse ces vieilles recettes d’antan aux socialistes et aux libéraux » ? Et que cache l’application avec laquelle il martèle cette volonté de démarcation tout au long de l’interview – « ce qui est sûr, c’est que j’entends beaucoup de recettes d’une autre époque qui viennent du PS et du MR » ou encore un « la gauche et la droite ont une responsabilité importante et c’est normal car leur idéologie est basée sur le matérialisme et leur pensée sur le bien-être est exclusivement tournée vers la consommation … « J’ai donc je suis. » Notre voie est différente, nous voulons donner une direction à la société. » ?
Personnellement, cela aurait fortement tendance à me doucher l’enthousiasme. Et si je laissais mon naturel prendre le dessus, je verrais dans la « balade des mains » – « Le développement humain, ce sont des hommes et des femmes qui se prennent par la main pour construire un meilleur demain. » – du leader centro-démocratico-humaniste une habile manœuvre stratégique pour fédérer les mécontentements. Alors que les politiques « traditionnelles », libérales et sociales-démocrates, témoignent chaque jour davantage de leur incapacité à sortir les peuples des crises économiques, sociales et environnementales dans lesquelles elles les ont conduits, il apparaît en effet aussi tentant qu’adroit de se positionner hors de ce clivage idéologique. Cela permet de se dédouaner a bon compte du bordel ambiant tout en se posant comme une alternative sinon crédible en tout cas novatrice, en rupture avec les « vieilles recettes d’antan ». Le bonhomme n’oublie d’ailleurs pas d’affirmer sa différence dans cette course à « autre chose, autrement » en ciblant les points identifiés comme faibles – car impopulaires – de la concurrence : « L’environnement est un moyen pour apporter du développement humain mais n’est pas une fin en soi. » ou encore « Ecolo et nous avons le même objectif mais pas les mêmes moyens. Nous souhaitons être moins dirigistes. »[[Métro, 29 avril 2013]] Chapeau, l’artiste !

Stop ! On arrête. La démonstration se tient peut-être mais je ne veux même pas le savoir. Je ne suis pas en mode « esprit critique » et on ne pourra pas cette fois m’accuser de chercher des poux sur la tête d’un chauve. Fidèle à mon engagement positiviste, je vais au contraire considérer que ces prises de position constituent une sorte de Pentecôte avant l’heure : l’esprit sain est descendu sur les présidents pour leur montrer la voie du salut. Et ça, ce n’est plus chouette, c’est carrément divin !

Puisse donc Benoît Lutgen s’engager dans un dialogue œcuménique en vue de rassembler sur les objectifs plutôt que de diviser sur les moyens celles et ceux qui partagent sa foi en un développement axé sur l’humain.

Puisse Paul Magnette convertir ses coreligionnaires engagés dans la défense et la promotion d’idées divergentes pour ne pas dire antagonistes aux siennes afin que, tous ensemble, ils transposent sa sagesse dans le programme du Parti.

Et, tant qu’à faire, puisse Charles Michel, lancé à esprit perdu dans la dénonciation obsessionnelle d’une « goche » protéiforme et ubiquiste, connaître lui aussi un jour le bonheur de la révélation et de la rédemption.

Mais comme tout cela n’engage pour l’heure que ceux qui y croient, puissent tous les autres continuer à se battre sans relâche, sans illusions mais pas sans espoir, pour l’avènement de leurs idéaux.

Allez, à la prochaine. Et d’ici là, restez vigilants car, comme le dit le proverbe : «Quand on se noie, on s’accroche à tout, même au serpent.»

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