La nausée…

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On trouve plus ou moins régulièrement, dans sa boîte à lettres électronique, des courriels issus d’expéditeurs inconnus. Ils réservent parfois de belles surprises : informations peu accessibles, pétitions pour de justes causes, appels à la solidarité, … Ils sont quelquefois moins bienvenus : virus informatiques, tentatives d’arnaques, fausses informations… et puis, aussi, quelques appels à la mobilisation pour des causes tout à fait contraires à sa propre éthique. Loin de susciter l’adhésion, ces messages provoquent alors le rejet, l’indignation – voire la nausée. Ainsi d’un courriel récent, intitulé « Ils veulent généraliser le 80 km/h : aidez-nous à mener la contre-offensive ! » et signé « Christiane Bayard, Secrétaire générale de la Ligue de Défense des Conducteurs (LDC) ».

Il s’agit, fondamentalement, d’un appel à la mobilisation (et aux dons) pour lutter contre des mesures visant à améliorer la sécurité routière en France. Le fond du message comme les pseudo-arguments mobilisés et le ton débilitant : tout y est, de mon point de vue, parfaitement écoeurant.

Le courriel de la LDC présente une similitude troublante avec une carte blanche publiée par Monsieur Drieu Godefridi en 2013 et à laquelle l’association Parents d’Enfants Victimes de la Route (PEVR) et IEW ont adressé une réponse commune. Si les styles diffèrent fortement (apparenté au salon littéraire chez Monsieur Godefridi et au café du commerce chez Madame Bayard), le propos est, fondamentalement, le même : les radars seraient des pompes à frics utilisés par les pouvoirs publics pour délester l’innocent automobiliste de ses maigres avoirs et n’amélioreraient en rien la sécurité routière.

Deux traits caractéristiques…

Le poujadisme (au sens dérivé d’antiétatisme populiste) est une atterrante constante de ce genre de message : tout ce qui alimente le budget de l’Etat serait condamnable. Les amendes perçues pour sanctionner des infractions au code de la route constituent dès lors un « juteux pactole » et « le gouvernement a bien l’intention de le faire fructifier ». Ceci est bien évidemment martelé sans nulle mise en perspective et en ignorant, entre autres, deux points essentiels. Un, l’Etat n’amasse pas son budget par vice – mais pour le redistribuer, en alimentant notamment la protection sociale, les soins de santé, l’éducation. Deux, il est malheureusement indispensable de mener des opérations de contrôle et de sanction (financière notamment) pour faire respecter la loi relative à la sécurité routière.

La fonction de contrôle-sanction de la vitesse est même totalement niée, les radars étant qualifiés de « radars-pièges » qui auraient pour seul but (présenté comme condamnable) d’alimenter les caisses de l’Etat : « Et on ose encore nous affirmer que les radars ne sont pas là pour récolter de l’argent ? Chaque année, la répression routière ponctionne 1,7 milliard d’euros aux conducteurs. ») Relevons au passage que toutes les données chiffrées sont non étayées, non documentées et floues, tel celle-ci : « 70 au lieu de 90 km/h pour le radar qui a le plus flashé en France en 2014. Résultat : 5,4 millions d’euros de racket à lui tout seul ! »

Deuxième caractéristique : la théorie du complot. Dans son courriel, la LDC y sombre dès la première phrase : « Les pouvoirs publics sont en train de finaliser un plan à grande échelle pour prendre les conducteurs en tenaille ». Le thème revient régulièrement dans le texte, comme ici : « le gouvernement est en train de mettre au point la prochaine étape de son plan pour taxer et pressurer au maximum les conducteurs avec les radars ». La Ligue de Défense des Conducteurs dénonce le « tour de passe-passe » des pouvoirs publics qui veulent « tester en catimini leurs techniques d’arnaque ». La LDC appelle donc à combattre les « manipulations scandaleuses opérées par les pouvoirs publics ».

Trois grosses ficelles…

Le procès d’intention est la première ficelle qu’utilise abondamment la LDC, comme ici : « Près de Dieppe, en Normandie, ils viennent d’abaisser la vitesse au niveau de l’un des radars qui flashait le moins en France, pour qu’il rapporte plus. » A supposer que l’information soit basée sur un fond de vérité, pourquoi ne pas envisager que la vitesse limite autorisée ait été abaissée pour d’autres raisons (comme, par exemple, une nouvelle implantation générant beaucoup de manœuvres, la mise en cohérence des limites de vitesse dans la zone, …) ?

Deuxième ficelle, l’inversion de logique est omniprésente dans le texte :

 la perception d’amendes pour sanctionner un comportement illégal est assimilée à … un comportement relevant du banditisme : « technique de racket » ;

 les excès de vitesse ne sont pas dénoncés, mais bien le fait de les constater, dont s’offusque la Ligue : « Ca marche tellement bien que l’an dernier, les radars ont flashé plus de 20 millions de fois ! » ;

 les personnes qui ont pour mission d’améliorer la sécurité de tous les usagers de la route sont présentées comme de farouches ennemis de tous les conducteurs ; ainsi, à propos des membres du Conseil National de la Sécurité Routière (CNSR) : « quand on regarde le pedigree de ces pseudo-experts, on peut s’attendre au pire ».

Ce dénigrement et cette personnification, troisième ficelle, permettent à la LDC de désigner des boucs émissaires sur lesquels la vindicte populaire pourra se déchaîner tout à loisir. A propos des membres du CNSR, toujours : « Et ces personnes, savez-vous qui c’est ? » La LDC se charge de vous les caricaturer, de les diaboliser : « un psychologue pour qui la voiture libère les « pulsions » qui sont en nous. Autrement dit, pour lui, nous sommes tous des bêtes sauvages et des fous furieux en puissance… ou encore une présidente très connue d’une association anti-voitures, qui nous traite d’assassins à la moindre occasion ». Semblant de rien, on se trouve, ici, à la limite de l’incitation à la haine.

… et beaucoup de méconnaissance

Dans son courriel, Madame Bayard s’indigne en ces termes : « Rendez-vous compte : aujourd’hui, ce sont déjà environ 240.000 personnes qui perdent leur permis chaque année. Et un tiers d’entre elles perd son emploi par la suite, alors que le taux de chômage explose dans le pays… »

On se rend surtout compte que :

 la LDC : ou bien ne connait pas les chiffres sur la base desquels elle est censée travailler : 85.189 permis ont été retirés en France en 2013, ou bien ment sciemment ;

 le fameux tiers qui aurait perdu son emploi est totalement fantaisiste ;

 quand on connaît les modalités de retrait du permis, ce qui apparaît ahurissant est le nombre de personnes qui se le voient retirer et non le fait qu’on le retire effectivement à celles et ceux dont le comportement met, objectivement, la vie des autres utilisateurs de la route en danger.

La LDC semble considérer que l’automobiliste a le droit de rouler comme bon lui semble, sans être tenu de respecter le code de la route. Particulièrement pernicieuse est la victimisation des « citoyens et conducteurs responsables, qui n’en peuvent plus de ce racket permanent sur les routes ». En associant les « citoyens responsables » à des victimes de « racket », on glorifie implicitement les comportements délictueux qui conduisent à ce « racket » (en fait, la perception d’amendes pour sanctionner le non-respect du code de la route).

Pour la Ligue de Défense des Conducteurs, il semble n’y avoir aucune relation entre la sécurité routière et les mesures de contrôle et sanction visant à faire respecter le code de la route. Ou, et cela serait plus grave, la sécurité routière ne constitue pas un sujet de préoccupation pour la LDC, qui qualifie l’abaissement des vitesses de « projet scandaleux » et de « cauchemar ». Ce rejet dogmatique de tout lien de causalité entre vitesse et insécurité routière relève d’une méconnaissance totale des lois élémentaires de la physique comme de tous les retours d’expérience de ces dernières dizaines d’années. A titre d’exemple, en France, 7.655 personnes ont perdu la vie sur les routes en 2002. L’introduction progressive des radars automatiques dès 2003 a été l’élément décisif qui, couplé à l’abaissement du taux d’alcoolémie (et à un renforcement des contrôles), a permis de faire baisser de 21% le nombre de tués en un an. Du fait de cette diminution exceptionnelle, 1.600 vies ont été épargnées en 2003 (ce qui, bien sûr, n’enlève rien aux drames des 6.058 tués sur les routes françaises en 2003).

Pour conclure

Rappelons juste les mots par lesquels PEVR et IEW concluaient leur réponse commune à la carte blanche de Monsieur Godefridi en 2013 : toute remise en cause du bienfondé du contrôle des vitesses constitue une insulte à la mémoire des victimes et une plaie supplémentaire infligée à leurs proches.