F**ck (the) low cost !

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Nous avons tous été ou serons tous un jour confrontés à cette situation d’attente qui vire aussi doucement qu’inéluctablement de l’interminable à l’infini. Le temps qui passe et l’attendu qui n’arrive pas nous poussent alors à chercher refuge dans tout ce qui semble pouvoir nous préserver de l’ennui.

Placé dernièrement dans ce peu agréable contexte, après avoir

 terminé les deux bouquins emportés “au cas où”;

 lu avec plus ou moins de désintérêt “Voici”, “Tu bâtis – Je rénove”, “L’Evenement”, “Plusmagazine”, “Paris Mach”, “Trends-Tendances”, “Cuisine et Vins de France”, “Femme d’aujourd’hui”, “Point de vue”, “Déco-Idée”, “Jeune & Jolie”, “Le Journal de Mickey” et “Newsweek” mis grâcieusement à ma dispostion;

 interrogé longuement la pertinence de l’écran télé accroché au mur et diffusant en mode “Mute” une chaîne musicale;

 opéré une observation sociologique poussée de celles et ceux partageant mon sort;

 décodé le contenu des diverses étiquettes garnissant mes chaussures, ma veste et ma chemise (ce dernier exercice étant fortement déconseillé aux personnes ayant le cou et/ou le sens du ridicule fragile(s));

je me résolus à utiliser l’ultime bouée offerte à ma patience en plein naufrage. Il est des circonstances exceptionnelles où il faut savoir transiger avec sa rigueur… Au diable donc les grands principes et la dignité mal placée, je m’emparai de l’exemplaire de “La Dernière Heure” abandonné sur le siège voisin et plongeai en ses pages.

Quelques dizaines de minutes plus tard (la légèreté du contenu favorise son absorption rapide…), j’émergeais de ma lecture en disposant de quoi m’occuper l’esprit aussi longtemps qu’il me faudrait encore attendre. Mon expédition en presse inconnue m’avait en effet conduit jusqu’au coeur des petites annonces où une phrase m’avait figé d’incrédulité et de dégoût. Dans l’abondante et euphémisante rubrique “Massages”, un encadré vantait les services de la “tendre Anna, l’exotique Kenza, la craquante Pamella” et quelques autres dont “la douceur et le savoir-faire” allaient nous “faire oublier le quotidien” et nous “emmener au 7ème ciel”, un programme d’autant plus alléchant qu’il est proposé par… “le premier salon low-cost de Bruxelles”.

Le premier salon low cost de Bruxelles…!!! Ainsi donc, après les vols low cost, les séjours low cost, l’électro-ménager low cost, les voitures low cost, l’alimentaire low cost, voici la dernière création de notre société marchandisée: la pute low cost!

J’ai beau avoir laissé pas mal d’illusions sur le bord de ma route, je dois avouer que je ne pensais pas qu’on puisse tomber si bas dans l’avilissement revendiqué.

Entendons-nous bien: je n’ignore pas que la passe se négocie à la baisse sur les trottoirs, le prix de la prestation étant inversément proportionnel au niveau de misère physique et psychologique des femmes qui s’y sacrifient. Ce qui me révulse dans cette annonce, c’est la commercialisation décomplexée de la prostitution et le recours aussi cynique qu’indéfendable à ce low cost constituant une de pires dérives de l’économie de marché.

Pour les divers produits évoqués plus haut, le bas prix s’obtient grâce à une compression des coûts de production… obtenus au détriment du salaire des travailleurs, des conditions de travail et de sécurité, de la rétribution des sous-traitants, de la préservation de l’environnement, etc. Ici, le “produit” est une femme (un homme) et il n’y a pas de compression de coûts possible: le “salon low cost”, c’est tout simplement la mise au rabais – et in fine la négation – de la dignité humaine.

Il ne s’agit pas de s’interroger sur les bonnes ou mauvaises raisons “d’accepter” la prostitution ou, au contraire, de la combattre. Il est question des limites que nous voulons – ou non… – mettre à la marchandisation des choses et des êtres. Cette annonce nauséabonde nous place en effet face aux dérives dans lesquelles nous entraînent l’illusoire “droit de tous à tout” issu d’un matérialisme instauré en mode de vie.

Avec le low cost, on occulte, on oublie, on nie la valeur du temps de travail, des matières premières, du savoir-faire. Il faut donc dire et répéter que les prix “bas”, “cassés”, “jamais vus” ont un coût qui se paie, ici et ailleurs, aux niveaux économique, social, environnemental et éthique. On peut certes s’en foutre et jouir sans entraves, limites ni remords de tous les bons plans qu’on nous propose à longueur de publicités. On peut mais il ne faudra alors ni s’étonner ni se plaindre quand la machine infernale nous pètera à la figure. Car ne nous leurrons pas, nous sommes toutes et tous des putes low cost en devenir : notre dignité ne pèse pas lourd sur la balance du profit…

Allez, à la prochaine. Et d’ici là, noubliez pas: “Celui qui voit un problème et ne fait rien fait partie du problème.” (Gandhi)

Extrait de nIEWs 94, (du 9 au 23 juin),

la Lettre d’information de la Fédération.

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