Captage et stockage du carbone : solution ou mirage ?

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Face à la crise climatique et l’obligation qu’elle nous impose de réduire drastiquement nos émissions de CO2 dans l’atmosphère, le captage et stockage du carbone (CCS[[Carbon Capture and Storage. Nous faisons le choix d’utiliser dans cet article les acronymes techniques anglais, plus courants.]]) suscitent depuis quelques années un intérêt grandissant. Ainsi, bien que sa faisabilité technique et économique à large échelle n’aie pas été démontrée, cette technologie est prise en compte – avec plus ou moins de prudence – dans de nombreux scénarios prospectifs (World Energy Outlook, Wallonie Bas Carbone 2050) et feuilles de routes politiques (EU Energy Roadmap 2050). De quoi donner envie de s’intéresser de plus près au potentiel, réel ou fantasmé, de ce procédé.

Mode d’emploi

Le captage et stockage du carbone (CCS) est une chaîne de techniques visant à capter le CO2 issus de sources fortement émettrices (production d’électricité à partir d’énergie primaire fossile, secteurs industriels tels que cimenterie, sidérurgie, pétrochimie, etc.) puis à le transporter (via pipeline, par bateau ou, dans une moindre mesure, par la route ou le rail) vers des sites où il sera stocké de façon permanente. Objectif : réduire les rejets de CO2 dans l’atmosphère.
La phase de stockage constitue un enjeu primordial. Plusieurs techniques sont à l’essai avec, pour l’heure, une primauté du stockage géologique qui consiste à piéger le CO2 dans la croûte terrestre, au sein de gisements d’hydrocarbures épuisés, d’aquifères salins profonds, de veines de charbon inexploitées ou d’autres roches.

Attention, dangers !

L’expérience en matière de CCS est balbutiante[[A Sleipner, un des plus anciens sites de stockage artificiel, le stockage a débuté en 1996.]] et on ne dispose pas des éléments de recul nécessaires à une analyse fine du risque. On peut toutefois s’inspirer de l’expérience acquise sur des activités similaires pour imaginer les scénarios problématiques.
C’est indiscutablement le stockage qui soulève le plus de questions avec des éléments critiques au niveau de la sécurité et de la permanence à long terme du piégeage. Les risques potentiels sont nombreux et d’autant plus mal évalués que les durées en jeu sont longues (le Centre d’analyse stratégique indique qu’ « une période de stockage de plusieurs siècles est nécessaire si l’on veut lutter efficacement contre le réchauffement climatique »).

L’Institut National de l’Environnement industriel et des risques[[Créé en 1990, INERIS (Institut National de l’Environnement industriel et des risques) est un établissement public français placé sous la tutelle du ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie. Il a pour mission de contribuer à la prévention des risques que les activités économiques font peser sur la santé, la sécurité des personnes et des biens, et sur l’environnement.]] a identifié des risques de plusieurs ordres :

 fuites et éruptions de CO2 pouvant représenter un danger pour les êtres vivants et annihiler des efforts importants de maîtrise du CO2 atmosphérique ;

 contamination de l’environnement (dont les nappes phréatiques) par le CO2 ou des impuretés qu’il contient (métaux lourds, autres polluants, bactéries) avec des effets sanitaires subséquents ;

 sismicité induite et mouvements de terrain.

Un tableau peu rassurant et qui pose d’autant plus question(s) que la récente législation européenne en matière de stockage géologique du carbone (directive 2009/31/CE) prévoit une limitation de la responsabilité des exploitants à une vingtaine d’années après la fin de l’injection. Ensuite, il reviendra aux pouvoirs publics d’assumer les risques. Un « report » de responsabilités qui n’est pas sans rappeler la situation existant autour du nucléaire…

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Figure 2 : Identification de scénarios possibles de fuite du CO2 piégé (Hovorka et al., 2006). Le scénario de fuite le long d’un puits après son abandon et son colmatage est jugé « fort probable » par l’INERIS à cause des propriété corrosives du CO2 dissout sur l’acier et le ciment.

Coûts et résultats

Le CCS est une technologie coûteuse. Une centrale thermique qui en est équipée nécessite ainsi entre 11 et 40 % de combustible en plus pour produire la même quantité d’électricité, une surconsommation qui, conjuguée à divers autres facteurs, conduit à une production électrique de 25 à 100 % plus chère que celle d’une centrale classique. Le coût des émissions de CO2 évitées se situe dès lors entre 40 et 50 EUR/t CO2 pour les centrales à charbon, entre 90 et 120 EUR/t CO2 pour les centrales à gaz.

Par ailleurs, les réductions d’émissions de CO2 attendues de cette technique sont de maximum 80 à 90 %. Les centrales fossiles équipées en CCS devraient donc continuer à émettre sensiblement plus de gaz à effet de serre par unité d’énergie produite (de l’ordre de 50 à 400 kg CO2/MWh) que la plupart des filières renouvelables… Quand on sait, d’une part, que les émissions de CO2 qui nous resteront permises dans les années à venir pour espérer conserver un climat viable seront extrêmement limitées et que, d’autre part, certains secteurs, comme le transport, sont bien plus difficiles à décarboner que la production électrique, il est permis de s’interroger sur la pertinence du recours CCS. Passer directement aux énergies renouvelables, moins émettrices, n’est-il pas de toute évidence plus sage et plus pragmatique ? Et ce d’autant plus qu’il a été montré que des taux de fuite faibles, de l’ordre de 1 % par an, suffiraient à annihiler les bénéfices climatiques du CCS.
Mais il y a pire : le CCS peut augmenter les émissions de CO2 ! En effet, aujourd’hui, pour viser la rentabilité, la plupart des projets de CCS à grande échelle misent sur la récupération assistée d’hydrocarbures. Le CO2 capté est injecté dans des gisements de pétrole ou de gaz en fin de vie afin d’y augmenter la pression et d’extraire plus complètement leur contenu. On enfuit le CO2 et on récupère un pétrole irrécupérable autrement. Pétrole dont la combustion dégagera… du CO2 ! Ainsi, pour le projet de Weyburn (Canada), un calcul simple montre que chaque kilogramme de CO2 injecté provoque in fine l’émission d’environ 3,02 kg de CO2dans l’atmosphère…

Cibler le mal, pas ses symptômes

L’objectif de la technologie CSS est clair : diminuer le CO2 émis dans l’atmosphère par des industries recourant aux combustibles fossiles. En ce sens, elle agit comme un remède qui s’attaque à un symptôme particulièrement gênant sans supprimer la cause du mal.

La directive européenne 2009/31/CE sur le stockage géologique du CO2 indique qu’il s’agit d’une « technologie de transition » dans la lutte contre les changements climatiques et précise que « cette technologie ne devrait pas être utilisée comme une incitation en faveur d’un accroissement des centrales électriques fonctionnant avec des combustibles fossiles. Son développement ne devrait pas conduire à une réduction des efforts visant à soutenir les politiques d’économie d’énergie, les énergies renouvelables et d’autres technologies sûres et durables à faibles émissions de CO2, tant en matière de recherche qu’en termes financiers. » Le risque est pourtant réel de voir l’attention et les moyens (tant pour la recherche que pour l’investissement) détournés de solutions prioritaires et durables en matière d’énergie (sobriété, efficacité, renouvelables) au profit du CCS.

Un autre risque est de se focaliser sur le CO2 et de mettre de côté d’autres aspects de la durabilité. Or, que l’on songe aux mines de charbon, à l’exploitation des gaz de schistes, aux marées noires, aux sables bitumineux, des plateaux du Shanxi aux collines du Colorado, du delta du Niger aux forêts de l’Alberta, l’extraction, le transport, la transformation et la combustion des combustibles fossiles ont bien d’autres effets néfastes que les seules émissions de CO2. Il est révélateur de voir comment le CCS est aujourd’hui mis en avant par l’industrie pétrolière pour « verdir » l’exploitation de ressources non-conventionnelles polluantes. Le projet Quest, un des plus importants projets de CCS au monde, développé par Shell au Canada prétend ainsi ramener les émissions de CO2 liées à l’exploitation des sables bitumineux à un niveau plus proche de celui du pétrole conventionnel – mais toujours supérieur à ce dernier. Et pour ce faire, la compagnie va recevoir près d’un milliard de dollars canadiens en subsides tandis que les réductions d’émissions de CO2 obtenues seront comptabilisées doublement pour l’attribution de crédits carbone !

Certains prétendent que, pour relever le défi climatique, il faut utiliser tous les outils : du nucléaire aux renouvelables, du CCS aux économies d’énergie. Mais les moyens – non seulement financiers, mais aussi humains – sont limités et toutes les solutions proposées ne se valent pas. Il s’avère donc impératif de faire preuve de discernement : on ne peut se permettre d’investir dans une voie sans issue. Ce à quoi le CSS ressemble fort.

De nombreux projets gelés ou abandonnés

En 2007, l’Europe prévoyait de cofinancer jusqu’à 12 projets de démonstration CCS devant être opérationnels entre 2015 et 2020. Cependant, face au coût et à un marché du carbone moribond, la plupart des initiatives ont été gelées ou abandonnées. Un seul projet a ainsi répondu à l’appel NER300 de la Commission européenne : « White Rose », au Royaume Uni, où une nouvelle centrale à charbon (450 MWe) équipée en CCS pourrait voir le jour et obtiendrait plusieurs centaines de millions d’euros de subsides européens et britanniques.

Cela n’empêche toutefois pas la Commission européenne de continuer à défendre un déploiement large du CCS ni les industries énergétiques à faire pression pour obtenir des financements supplémentaires en ce sens. Détail piquant : la Commission révèle que les projets CCS qui lui ont été proposés par les opérateurs privés « reposent presque entièrement sur un financement public ». L’industrie n’est pas prête à investir ses propres deniers dans le CCS.

Cet article est largement basé sur une étude de l’auteur présentée dans le cadre du 1er Congrès interdisciplinaire du développement durable tenu à Namur les 31 janvier et 1er février 2013. L’intégralité de cette étude est disponible ici. Mise à jour : un dossier sur le CCS a été publié par IEW suite à ce travail.


Cette étude sera à nouveau présentée dans le cadre d’une conférence-débat sur le charbon le mercredi 27 novembre 2013 à Liège (cycle de conférences sur les énergies fossiles).