Bêtes de Seex (Syndrome éolien exacerbé)

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Énergie
  • Temps de lecture :13 min de lecture
You are currently viewing Bêtes de Seex (Syndrome éolien exacerbé)

Nonobstant les adjurations récurrentes du corps médical me promettant une fin prématurée si je m’obstine à soumettre mes systèmes nerveux et cardiaque à des embrasements inconsidérés, je ne peux empêcher mon sang de monter dans les tours à la lecture des élucubrations diffusées par les « défenseurs du patrimoine paysager de nos belles régions » en lutte contre « la sauvagerie de l’intrusion éolienne » [[http://www.ventderaison.com]], en d’autres termes et en clair, le lobby anti-éolien. La dernière sortie médiatique de leur grandiloquent porte-parole[[Luc Rivet, dans « L’Expresso » sur La Première, RTBF Radio, 25/02/2013]] constitua ainsi une quintessence de divagation poujadiste amenant mes sangs surchauffés à ébullition. Car si affirmer sans rire ni rougir que le tout frais sorti – et pour ce que j’en sais très mesuré – « Cadre de référence éolien » wallon « ce n’est pas une avancée, c’est un désastre » reste dans les limites de la mauvaise foi partisane, embrayer en assénant aux habitants des communes wallonnes peuplées d’éoliennes que « leur vie, c’est fini » et que « leur maison ne vaut plus un kopek », c’est exploiter les peurs des uns et prendre les autres pour des cons. Ce qui, dans les deux cas, explose les bornes de l’acceptable.

Bon, je me calme…

A priori, je n’éprouve aucune antipathie envers les « défenseurs du patrimoine paysager ». Je ressens même une certaine compréhension voire une réelle empathie pour les « terroristes » corses qui font sauter les résidences secondaires défigurant leur île et ses côtes au mépris de la loi littorale, des prescrits urbanistiques et du bien commun. C’est assez dire, me semble-t-il, mon ouverture d’esprit. Mais c’est peut-être précisément parce que celle-ci est large qu’elle se heurte à la vision étroite des extrémistes qui, en Wallonie et ailleurs, se lancent à l’attaque des moulins à vent. Des extrémistes dont les dérapages conduisent dans le fossé des combats parfois légitimes.

Les notions de « beau » et de « laid » échappant à toute tentative d’objectivation rationnelle, je ne polémiquerai pas sur l’injure au regard que constituent ou non des éoliennes plantées dans un paysage plus ou moins grandiose. Force m’est toutefois de constater que, dans la majorité des cas, les haut-le-cœur des opposants à ces projets répondent à des stimuli particulièrement restrictifs sinon exclusifs. Ils ne s’offusquent guère, par exemple, de voir les rues et places de leurs si jolis villages squattées par des hordes de voitures, nuisances indispensables pour aller et venir vers les quatre façades qui minent l’horizon et outragent sa ruralité. Regrettez ce foisonnement automobile en parlant de densification du territoire ou de noyaux d’habitats et ils crieront au scandale, dénonçant une vision totalitaire, une atteinte intolérable à leurs liberté et droit d’habiter là où ils le veulent.
Cette attitude témoigne en fin de compte d’une certaine cohérence, d’une approche égocentrée où la lutte pour un « paysage préservé » avec des lignes de fuite sanctuarisées et des perspectives qu’aucun mât ne vient balafrer s’inscrit dans la défense d’un « droit à… » considéré comme bafoué. Autrement et plus simplement dit, on se trouve face à du Nimby pur et dur habillé d’un mauvais costume de Chevalier Blanc. Et c’est précisément là que le bât blesse. Que des riverains inquiets se mobilisent contre un projet dont ils maîtrisent mal les enjeux, c’est fréquent, humain et somme toute acceptable. Par contre, que ces mobilisations locales compréhensibles à défaut d’être fondées se voient récupérées par un lobby aux arguments fallacieux et visées incertaines est difficilement tolérable. Car la « Fédération des groupes d’opposition aux éoliennes en Région wallonne » ne recule devant aucun amalgame, aucune approximation, inexactitude ni outrance pour mobiliser ses troupes… sans qu’on sache à quelle véritable fin.

D’autres plus compétents que moi se sont attachés, s’appliquent et s’emploieront encore à démonter les contre-vérités techniques et pseudo-scientifiques avancées par les détracteurs de l’éolien. Je vous y renvoie donc et vais me concentrer ici sur quelques éléments de simple bon sens.

J’ai évoqué plus haut le caractère éminemment subjectif de « l’atteinte aux paysages ». Je n’y reviendrai pas sinon pour préciser que l’implantation d’éoliennes, comme de toute autre infrastructure, est soumise à des règles, avis et permis dont je me refuse à considérer (ma naïveté me perdra…) qu’ils sont sous la coupe des lobbies du vent.

Ne se contentant pas de découper le paysage, les éoliennes déchiquetteraient également un nombre indéfinissable mais forcément élevé d’innocents oiseaux hachés plus ou moins menus par leurs pales assassines. « C’est même un massacre dans certains cas, surtout lorsque les turbines sont sur des couloirs de migration. (…) En Allemagne, les études scientifiques estiment à 1 million le nombre d’oiseaux tués chaque année par les éoliennes. La liste des oiseaux tués en Allemagne (ceux qu’on a retrouvés !) inclut à ce jour quelques 18 pygargues à queue blanche, 69 milans royaux, 24 busards des roseaux et St Martin, 56 buses variables, 5 hiboux grands-ducs ainsi que nombre d’autres rapaces. »[[http://www.ventderaison.com]]

Loin de moi la volonté de nier cet enjeu mais, là encore, des règles existent pour sinon éviter à tout le moins minimiser le problème. Les études d’incidences préalables à la délivrance des permis prennent ces données en compte et mon optimisme coutumier me conduit à penser que les projets constituant une réelle menace pour l’avifaune sont recalés. Ceci étant précisé, on peut aussi relativiser – et pas rien qu’un peu – l’importance du phénomène. Une étude américaine[[« A Summary and Comparison of Bird Mortality from Anthropogenic Causes with an Emphasis on Collisions » ; Wallace P. Erickson, Gregory D. Johnson and David P. Young Jr ; USDA Forest Service Gen. Tech. Rep. PSW-GTR-191. (2005)]] sur les causes de décès accidentels des oiseaux a en effet établi que les éoliennes étaient responsables dans 0,3 cas sur… 10.000 ! Loin devant sur l’échelle des responsabilités, on trouve les immeubles et vitres (5.820/10.000), les lignes à haute tension (1.370), les chats (1.070), les véhicules automobiles (850), les pesticides (710) ou encore les tours de communications (50). Edifiant à un plus d’un titre, non ?

Il paraîtrait par ailleurs que les éoliennes sont sources de « pollution sonore, infra-sonore (par les basses fréquences) stroboscopique et visuelle (…) qui engendre les maladies environnementales dont les symptômes sont désormais bien connus: gênes visuels, bourdonnements, insomnies, irritabilité, maladies dégénératives ou auto-immunes, allergies, syndrome de fatigue chronique… » [[http://www.ventderaison.com]]

Désireux de faire triompher la vérité, je me suis rendu sur le terrain pour expérimenter de mes propres oreilles – que j’ai particulièrement sensibles – les effets auditifs de ces engins honnis. Résultat des investigations : sur l’un des sites, le bruit de l’autoroute proche couvrait toute autre nuisance auditive potentielle ; dans l’autre lieu visité, il me fallut tendre l’oreille pour (sembler) distinguer le son des moulins qui se fondait dans celui du vent. Bref, rien de tant soit peu dérangeant… Mais il est vrai que le caractère insupportable des choses relève d’une appréciation spécifique à chacun(e). Ainsi, en ce qui me concerne, je partage ma couche avec un être aimé que le piaillement des oiseaux au lever du jour irrite et exaspère. En conséquence de quoi, d’avril à fin septembre, aux premières lueurs de l’aube, je suis sorti de mon fragile sommeil par un matelas qui tressaute puis une fenêtre qui claque. Après avoir renoncé à militer pour l’éradication des piafs dans un rayon de 200 mètres autour des habitations, j’hésite toujours sur quelle alternative mettre en œuvre pour préserver mon repos, la séparation de corps ou la 22 long rifle (le recours au dit engin étant envisagé, je le précise à toutes fins utiles, pour inciter les bruyants volatiles à aller chanter ailleurs)…

Afin de bien comprendre de quoi on cause et le caractère pour le moins relatif des potentielles nuisances, il importe de savoir que le nouveau « Cadre de référence éolien » impose une norme de bruit maximale de 45 décibels à l’extérieur des maisons les plus proches ce qui, sur les échelles de bruit, correspond au niveau enregistré à l’intérieur d’une habitation calme. Autant dire que ces 45 décibels virent à l’inaudible une fois le seuil franchi. A titre de comparaison, le volume sonore dans une pièce fermée située le long d’une voirie à trafic moyen se situe entre 65 et 70 décibels. Le dossier bruit sera clôturé après avoir relevé le caractère aussi paradoxal qu’inconsistant de déclarations dénonçant dans un même élan le caractère intermittent du fonctionnement des éoliennes – « 5 à 6 jours par mois » – et les méfaits d’une « exposition chronique » au bruit qu’elles génèreraient…

Quant à l’effet stroboscopique, ce sont sans doute ses victimes qui en parle le mieux: « Nous citons une enseignante anglaise, Gail Mair, établie à Murci en Toscane, à côté d’une centrale éolienne de la firme GAMESA : « L’effet « disco » stroboscopique de l’éolienne n°2 fait passer l’ombre portée dans notre living de 19h à 19h20, tous les soirs. A ce moment, il est impossible de rester dans la pièce ou de ce côté de la maison. C’est proprement insupportable. Ajouter au bruit, c’est l’enfer. » »[[« Eolien – Rumeurs et Contre-vérités – La Région wallonne se trompe et vous trompe» brochure éditée par « Vent de raison », la Fédération des groupes d’opposition aux éoliennes en Région wallonne]] No comment, c’est charitable.

Je pourrais continuer le démontage des incongruités nourrissant l’argumentaire des anti-éoliens mais je sortirais du cadre de cette chronique pour tomber dans le format livre tant elles abondent et appellent parfois des démonstrations autrement plus fouillées que celles auxquelles je me suis livré jusqu’à présent. Je me bornerai donc à mettre encore en exergue une « perle » pêchée dans la brochure « Eolien – Rumeurs et Contre-vérités – La Région wallonne se trompe et vous trompe» éditée par la Fédération des groupes d’opposition aux éoliennes en Région wallonne, « Vent de Raison » pour les intimes. On y trouve en vitrine quelques personnalités hostiles à l’énergie éolienne censées asseoir la légitimité de cette opposition. Parmi ces figures emblématiques, l’ancien Président de la République française Valéry Giscard d’Estaing qui dénonce « il ne s’agit pas d’énergie renouvelable mais d’énergie subventionnée » et demande « que les Français soient vraiment consultés sur leur implantation dans le paysage français, par exemple par l’organisation de référendums locaux ».

Selon l’humeur, on s’amusera, s’étonnera ou s’offusquera de ces propos venant de l’un des principaux acteurs du développement d’une l’industrie nucléaire française financée par des milliards d’investissements publics sans que jamais les citoyens ne soient consultés sur une stratégie politico-industrielle engageant lourdement la sécurité de leur pays pour plusieurs dizaines de générations… Mais il est vrai qu’en se dressant vent debout contre l’éolien, Giscard s’inscrit pleinement dans sa logique atomique. Une logique qu’il partage avec « Vent de Raison ». Dans cette même brochure, l’association affirme en effet : « Pour satisfaire la demande et rester compétitive, la production d’électricité doit être industrielle. Le bricolage résultant du slogan non justifié du « bouquet énergétique » (il nous faut un peu de tout) conduit à une dispersion fort peu rentable des investissements. (…) Vent de Raison estime que l’Europe occidentale ne sortira pas du nucléaire actuel tant qu’une autre source de production énergétique équivalente ne sera pas opérationnelle. Il faudra encore au moins 30 ans pour y arriver. La soudure doit être assurée. Le maintien du nucléaire est clairement confirmé par tous les partis traditionnels en Belgique. Les centrales nucléaires de 5ème et 6ème générations sont en cours de développement. » Voilà qui a (enfin) le mérite de la clarté : par-delà l’éolien, c’est toutes les énergies alternatives qui sont mises en cause et la préservation des paysages, de la santé, de la biodiversité, etc. apparaissent comme autant de prétextes servant in fine la cause du nucléaire. Chacun(e) en tirera les conclusions qu’il(elle) voudra.

Tout ceci étant écrit, je critique, je critique mais je m’en voudrais de finir sans saluer l’approche intégrée et la conviction qui anime les promoteurs de « Vent de Raison ». Je m’explique.
Dans une lettre à l’Administrateur général de la RTBF en date du 16 novembre 2011 dont une copie est publiée sur le site de l’association, le « coordinateur général » de celle-ci liste les raisons de s’opposer au développement de l’éolien ainsi que les mesures réellement efficaces à mettre en œuvre pour lutter contre les émissions de CO2, dont « limiter les voitures neuves aux seules électriques ». Une option pour le moins radicale mais en laquelle le « porte-parole » semble croire au point de s’investir dans une société ayant pour objet « regeneration of traction batteries (electric vehicles) and large stationary batteries »[[Source: Profil « linkedin » de l’intéressé.]]. Sachant qu’une telle mesure ne saurait s’accommoder de la réduction drastique de la demande d’électricité intrinsèquement liée au développement des renouvelables et à la fin du nucléaire, la boucle semble bouclée…

Allez, à la prochaine. Et d’ici là, restez vigilants car comme le dit le proverbe : «Quand on se noie, on s’accroche à tout, même au serpent.»

politicaladvisory.jpg